La liberté, rien que la liberté

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dimanche 25 octobre 2009

La pensée patriotique au Cameroun


L’urgence de la pensée patriotique au Cameroun


Où a-t-on jamais vu une société évoluer sans pensée progressiste, novatrice, futuriste, sans pensée prospective ? Telle est la question cruciale qui se pose, aujourd’hui, au Cameroun. Il n’y existe plus de pensée. Ou plutôt, oui. Il en existe bien une, qui constitue, tout simplement, l’idéologie camerounaise. Celle-ci s’est constituée à force de discours et de slogans présidentiels, du bon sens populaire tributaire des croyances ancestrales, et de l’héritage idéologique colonial.
Elle est actuellement dominée par l’idée d’un Cameroun gros éléphant mort à dépecer, en faisant fi de l’intérêt général. L’idéologie camerounaise est à ce jour caractérisée par un désir effréné d’enrichissement aussi rapide que spectaculaire, au détriment du bien public. Toutefois, il n’en a pas toujours été ainsi.

La pensée patriotique avant 1939
Il importe d’opérer une distinction fondamentale entre la période du protectorat allemand, du 12 juillet 1884 au 4 mars 1916, et de l’invasion suivi de l’installation des administrations française et britannique, du 4 mars 1916 au 1er janvier 1960 et au 1er octobre 1961. Il est ainsi possible de résumer la pensée, au Cameroun, entre 1884 et 1916, par la révolte face à la brutalité allemande, et à partir de 1916, de la révolte face à la division de la patrie kamerunaise par les franco-britanniques. Autrement dit, la naissance de la question de la reconstitution de notre patrie, par les Kamerunais, qui se traduira par l’idéologie de la réunification.
Fait de la plus haute importance à souligner, à partir de 1916, le désir de recouvrer notre totale liberté est allé croissant, d’une part par le fait que les rois Duala estimaient que la présence franco-britannique était injustifiée, le protectorat allemand ayant été convenu pour une période de 30 ans à l’issue de laquelle notre peuple serait totalement maître de son destin, échéance qui survenait en 1916, d’autre part, par le fait que les Kamerunais s’étaient mis à adresser des mémorandums aux délégués réunis à Versailles, en France, pour la conférence de la paix, à partir de 1918. Malgré leurs protestations, le Kamerun, d’une part changera d’orthographe, devenant Cameroun, pour les Français, et Cameroons, pour les Britanniques, d’autre part, il sera placé sous mandat de la Société des Nations, le 20 juillet 1922, la SDN.
Quoi qu’il en soit, de 1922 au déclenchement de la seconde guerre mondiale, l’idéologie camerounaise sera dominée par cette révolte intériorisée, et, en même temps, une grande admiration doublée d’une grande crainte envers l’homme blanc.

La pensée patriotique après 1944
1944 aura constitué, pour le Cameroun, un tournant majeur dans l’histoire de son évolution mentale. Pourquoi ? Parce que c’est cette année-là, plus précisément au mois d’août, que les Camerounais ont acquis le droit syndical, à la faveur d’un décret de René Pléven, Commissaire aux colonies de Charles de Gaulle. Ils auront, à partir de ce moment là, connu une révolution mentale phénoménale qui s’est traduite par un accroissement de l’audace face aux Blancs, les colons et les administrateurs des colonies qui les asservissaient.
La peur que ceux-ci leur avaient savamment inculquée, s’était estompée. Cela a été d’autant plus accentué que les anciens combattants camerounais démobilisés sont venus les encourager à affronter l’homme blanc ainsi qu’ils venaient, eux-mêmes, de le faire tout au long de la guerre, dans le désert, en Afrique du nord. Ils sont venus accentuer la fin de la peur de l’homme blanc, de l’idolâtrie de celui-ci, de son assimilation à Dieu le Père, créateur du ciel et de la terre.
La pensée, au Cameroun, a ainsi connu une importante révolution, et a été imprégnée, plus qu’avant, de l’idée de la possibilité, pour la population, de recouvrer sa liberté d’antan perdue du fait de l’invasion coloniale. Cette révolution a débouché, tout naturellement, sur la revendication de l’indépendance, et le départ des Blancs.

La pensée patriotique après 1960 et 1961
1960 et 1961, naturellement, auront constitué un tournant particulièrement important dans la pensée camerounaise, tout court. L’indépendance et la réunification sont apparues comme l’aboutissement d’une longue lutte et d’une longue espérance de la part de la population. Mais, en même temps, une large frange de Camerounais, s’était retrouvée extrêmement frustrée par les conditions de l’accession du pays à la souveraineté internationale. Un personnage choisi, promu et protégé par le gouvernement français était devenu président de la République.
Nul ne l’avait, auparavant, vu lutter pour cette indépendance dont il héritait de la gestion. Bien mieux, il a entrepris de rétablir la terreur qui prévalait à l’époque coloniale avant la « libéralisation » de 1944. Enfin, pendant toute la durée de son règne de 24 ans, 1958-1982, il a œuvré à tuer l’esprit nationaliste qui avait caractérisé les Camerounais de 1944 à 1960-1961, et qui avait fait que notre pays devienne le troisième, de toute l’Afrique noire, à obtenir l’indépendance. Le premier ayant été le Ghana, le 6 mars 1957, le second ayant été la Guinée, le 28 septembre 1958, et le troisième ayant été le Cameroun, le 1er janvier 1960. A la place, il aura inoculé aux Camerounais l’idéologie de « l’équilibre ethnique », véritable poison qui fait de chaque concitoyen, l’ennemi de l’autre.
En effet, cette idéologie, communiquée à Ahmadou Ahidjo par Jean Ramadier dans le discours de son investiture le 18 février 1958 devant l’Assemblée législative du Cameroun, ALCAM, qu’il avait rédigé pour lui, énoncait, pour la première fois, le thème de « l’unité nationale », comme cause du retard et du sous-développement du pays, pour combattre celui des brimades, de la servitude et de l’exploitation coloniales plutôt, comme cause de ce sous-développement, et qui était celui des patriotes camerounais. Comme conséquence de ce discours sur « l’unité nationale », les Camerounais se sont pénétrés de la pensée funeste selon laquelle, nul groupe ethnique ne devait prendre le dessus sur un autre, il fallait, en conséquence, tout « équilibrer », abolissant ainsi, naturellement, le règne de la compétence, de la performance et de l’émulation au sein des citoyens dans le pays.
C’était la fin de la vision du pays comme une nation, pour celle du pays, dans le meilleur des cas, comme une assemblée générale de groupes ethniques permanemment sur le pied de guerre. Naturellement, cette idéologie niait royalement les mélanges ethniques en cour, les mariages mixtes, etc. Elle niait, tout bonnement, le brassage des populations qui s’accentuait au fur et à mesure que se développaient les moyens de communication, l’instruction, etc. C’est une idéologie statique, conservatrice, et, tout simplement rétrograde, qui a pris le dessus de 1958 à 1982.

La pensée patriotique depuis 1982
Au départ d’Ahmadou Ahidjo du pouvoir le 6 novembre 1982, Paul Biya est venu, pour sa part, introduire l’idéologie de « l’intégration nationale », en prolongement à celle de « l’unité nationale ». La pensée patriotique, il va sans dire, était totalement reléguée aux calandres grecques. Il a, par ailleurs, entrepris, sans succès, (d’autres diront de manière démagogique) d’introduire l’idéologie de la « rigueur dans la gestion et de la moralisation des comportements ». Quoi qu’il en soit, les conséquences de cette idéologie funeste de « l’unité nationale et de l’intégration nationale » n’ont pas tardé à ce faire jour, dès le début des années 1980.
D’une part, il s’est produit une tentative de coup d’Etat, au mois de février 1982, au fort relent régionaliste, d’autre part, les Camerounais ont, plutôt, assisté au triomphe de « l’idéologie de la bouffe », par tous les moyens et en tous lieux, au détriment de la fortune publique. Ils ont assisté et encouragé l’idéologie de « l’ineptie » de l’intérêt général. Et ce qui ne pouvait manquer d’arriver, est effectivement arrivé. Le Cameroun a été classé, deux années consécutives, champion du monde de la corruption.

Que faire à ce jour ?
Réponse toute évidente : revenir à la pensée nationale et patriotique au Cameroun. Par comment ? Ainsi que cela se produit dans la quasi-totalité des pays du monde et tout au long de l’histoire de l’humanité, cette tâche, devenue véritablement immense, au regard de l’ampleur des dégâts, incombe avant tout aux intellectuels camerounais. Il leur revient de penser le Cameroun de demain.
Pour cela, il faudrait tout d’abord décrire, profondément, le Cameroun d’aujourd’hui, l’analyser véritablement, et, enfin, jeter les bases de celui de demain. C’est ce que des intellectuels des autres pays du monde on entrepris de faire. Nul ne sait, au Cameroun, à ce jour, qui était James Madison et Hamilton, eux USA. Et pourtant, ce sont des intellectuels américains qui, au 18ème siècle, ont pensé l’Amérique d’aujourd’hui. De même, les Camerounais citent, à tort et à travers Machiavel, sans se préoccuper, ni du rôle que ce personnage a joué pour son pays, ni des raisons pour lesquelles il a rédigé son célèbre ouvrage, Le Prince.
Il avait vécu de 1494 à 1527, à l’époque où l’Italie, son pays, était en lutte pour son unité, car il était constitué d’une pléiade de royautés et de principautés qu’il fallait transformer en un seul Etat. Cette réalité du philosophe, les Camerounais ne se préoccupent guère de la connaître, et en font, simplement, le théoricien du cynisme en politique. Ils ont tort. C’est le lieu, ici, de leur dire, plutôt, qu’ils gagneraient à devenir, à leur tour, des Machiavels locaux, c’est-à-dire, des penseurs de leur pays de demain.
© Pauline BIYONG

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