Sur le chemin de la mort
Romell Broom est un survivant. Du moins à ce jour. Condamné à mort pour l'enlèvement, le viol et le meurtre d'une adolescente en 1984 dans la banlieue de Cleveland, cet Afro-Américain de 53 ans aurait dû être exécuté le 15 septembre au pénitencier de Lucasville (Ohio). "Aurait dû", car l'équipe chargée de sa mise à mort n'a pas réussi à trouver une veine pour administrer l'injection mortelle.
Deux heures de tâtonnements et de souffrances auront été nécessaires avant que le gouverneur de l'Etat, Ted Strickland, ne décide de suspendre l'exécution. Deux heures insoutenables, passées en partie sous le regard d'une dizaine d'agents carcéraux, de quatre journalistes et de trois membres de la famille du condamné.
L'affaire a relancé le débat sur les équipes médicales chargées d'administrer la mort. Le fait est que dans la longue histoire des exécutions capitales aux Etats-Unis, cette situation de sursis temporaire dans laquelle se trouve Romell Broom est rarissime. On ne connaît qu'un seul cas, en 1946, où un certain Willie Francis, un Afro-Américain condamné pour meurtre, a survécu à la chaise électrique en raison d'une défaillance matérielle. Il n'y réchappera pas un an plus tard.
Aujourd'hui, Romell Broom est retourné dans sa cellule. Après un premier sursis de dix jours, il vient de voir repoussée, par un juge fédéral, au 30 novembre, la décision devant statuer sur son sort. Deux nouveaux mois avec cette peur au ventre de revivre un nouveau calvaire, comme il dit.
Dans une déclaration sous serment devant Marcia Dukes, notaire public, deux jours après son exécution ratée, Broom raconte chaque détail. Un récit de 4 pages sous forme de monologue, glacial et serein à la fois, mais toujours hanté par sa condition de condamné en sursis. Il y décrit comment il fut transféré le 14 septembre dans la cellule des exécutions. Le lendemain, vers 14 heures, son dernier recours rejeté, un gardien vient lui lire son ordre d'exécution. "Deux infirmiers sont entrés dans ma cellule et m'ont conseillé de m'allonger. L'un d'entre eux était un homme blanc, l'autre une femme blanche."
Trois matons s'installent dans la pièce. L'un se tient debout à sa droite, l'autre à sa gauche et le troisième à ses pieds. "Les infirmiers essayaient simultanément de trouver des veines dans mes bras. La femme essaya trois fois au milieu de mon bras gauche. L'infirmier essaya trois fois au milieu de mon bras droit."
Après ces six tentatives infructueuses, les deux infirmiers demandent à Romell Broom de faire une pause qui durera "environ deux minutes et demie".
Une fois de retour, l'infirmière tente à nouveau de trouver une veine dans le bras gauche : "Elle a dû toucher un muscle parce que la douleur m'a fait hurler." L'infirmier fait un nouvel essai sur le bras droit. Il réussit à accéder à une veine, mais lorsqu'il tente d'insérer le cathéter intraveineux, "il le perd et du sang coule sur mon bras", dit Romell Broom. Au moment de quitter la pièce, un gardien demande à l'infirmière si elle se sent bien. "Elle répondit "non" et prit la porte."
Nouvelle pause. L'infirmier sort à son tour. "Le maton installé à ma droite me posa la main sur mon épaule droite et me conseilla de me relaxer." Broom affirme alors souffrir "beaucoup" et qu'il lui est difficile "d'étendre ou de bouger ses bras". L'infirmier revient. Il porte des serviettes chaudes à la main, afin de l'aider à trouver les veines, lui dit-il. Après les avoir appliquées sur le bras gauche, l'homme effectue une tentative au milieu du bras. L'infirmier passe ensuite à la main gauche qu'il perfore à trois reprises. "Après cette troisième tentative, il a fait remarquer que la consommation d'héroïne avait endommagé mes veines, poursuit Romell Broom. J'ai été contrarié par ce commentaire parce que je n'ai jamais pris d'héroïne ni aucune autre drogue par intraveineuse."
Poursuivant son récit il affirme que l'infirmier n'arrêtait pas de répéter que la veine était là, "juste là". Et d'ajouter : "J'ai essayé de les aider en essayant d'étendre mon bras." Nouvelle pause. Nouvelle intervention d'un des gardiens qui lui conseille de "se relaxer". "A ce stade, je me suis senti très mal, affirme Romell Broom. J'ai commencé à pleurer à cause de la douleur. Les infirmiers plaçaient les aiguilles dans des zones déjà contusionnées et gonflées. J'ai demandé à arrêter le processus et s'il était possible de parler à mon avocat."
Le responsable des gardiens lui demande alors de se mettre assis afin que "le sang coule plus librement". Entre dans la pièce l'infirmière en chef ; "une femme asiatique" qui "tenta d'accéder à des veines de ma cheville droite". D'après Romell Broom, l'aiguille percute un os. "J'ai crié, dit-il. Dans le même temps, l'infirmière en chef a essayé d'atteindre une veine dans la partie inférieure de ma jambe gauche tandis que l'infirmier essayait simultanément d'accéder à une veine de ma cheville droite."
Nouvel échec, l'infirmière en chef quitte la salle. Son collègue, lui, reste auprès de Romell Broom et effectue deux tentatives à la main droite.
Romell Broom poursuit son récit : "Le degré de souffrance était à son maximum." Encore une fois, le chef des gardiens lui demande de "se relaxer". Le directeur de l'établissement fait alors son entrée et annonce que la procédure d'exécution est interrompue. Il s'adresse au condamné pour lui dire qu'il a apprécié sa coopération. "Il a également loué le professionnalisme de son équipe."
A l'issue de sa déclaration, Romell Broom note : "Attendre d'être encore exécuté est angoissant." Et cette ultime phrase : "Je suis sans cesse ramené au fait que je vais devoir subir la même torture que celle que m'ont infligée les autorités de l'Ohio ce mardi 15 septembre 2009, parce que le protocole d'exécution de l'Ohio n'a pas changé, et l'état de mes veines non plus."
Nicolas Bourcier, Le Monde
Deux heures de tâtonnements et de souffrances auront été nécessaires avant que le gouverneur de l'Etat, Ted Strickland, ne décide de suspendre l'exécution. Deux heures insoutenables, passées en partie sous le regard d'une dizaine d'agents carcéraux, de quatre journalistes et de trois membres de la famille du condamné.
L'affaire a relancé le débat sur les équipes médicales chargées d'administrer la mort. Le fait est que dans la longue histoire des exécutions capitales aux Etats-Unis, cette situation de sursis temporaire dans laquelle se trouve Romell Broom est rarissime. On ne connaît qu'un seul cas, en 1946, où un certain Willie Francis, un Afro-Américain condamné pour meurtre, a survécu à la chaise électrique en raison d'une défaillance matérielle. Il n'y réchappera pas un an plus tard.
Aujourd'hui, Romell Broom est retourné dans sa cellule. Après un premier sursis de dix jours, il vient de voir repoussée, par un juge fédéral, au 30 novembre, la décision devant statuer sur son sort. Deux nouveaux mois avec cette peur au ventre de revivre un nouveau calvaire, comme il dit.
Dans une déclaration sous serment devant Marcia Dukes, notaire public, deux jours après son exécution ratée, Broom raconte chaque détail. Un récit de 4 pages sous forme de monologue, glacial et serein à la fois, mais toujours hanté par sa condition de condamné en sursis. Il y décrit comment il fut transféré le 14 septembre dans la cellule des exécutions. Le lendemain, vers 14 heures, son dernier recours rejeté, un gardien vient lui lire son ordre d'exécution. "Deux infirmiers sont entrés dans ma cellule et m'ont conseillé de m'allonger. L'un d'entre eux était un homme blanc, l'autre une femme blanche."
Trois matons s'installent dans la pièce. L'un se tient debout à sa droite, l'autre à sa gauche et le troisième à ses pieds. "Les infirmiers essayaient simultanément de trouver des veines dans mes bras. La femme essaya trois fois au milieu de mon bras gauche. L'infirmier essaya trois fois au milieu de mon bras droit."
Après ces six tentatives infructueuses, les deux infirmiers demandent à Romell Broom de faire une pause qui durera "environ deux minutes et demie".
Une fois de retour, l'infirmière tente à nouveau de trouver une veine dans le bras gauche : "Elle a dû toucher un muscle parce que la douleur m'a fait hurler." L'infirmier fait un nouvel essai sur le bras droit. Il réussit à accéder à une veine, mais lorsqu'il tente d'insérer le cathéter intraveineux, "il le perd et du sang coule sur mon bras", dit Romell Broom. Au moment de quitter la pièce, un gardien demande à l'infirmière si elle se sent bien. "Elle répondit "non" et prit la porte."
Nouvelle pause. L'infirmier sort à son tour. "Le maton installé à ma droite me posa la main sur mon épaule droite et me conseilla de me relaxer." Broom affirme alors souffrir "beaucoup" et qu'il lui est difficile "d'étendre ou de bouger ses bras". L'infirmier revient. Il porte des serviettes chaudes à la main, afin de l'aider à trouver les veines, lui dit-il. Après les avoir appliquées sur le bras gauche, l'homme effectue une tentative au milieu du bras. L'infirmier passe ensuite à la main gauche qu'il perfore à trois reprises. "Après cette troisième tentative, il a fait remarquer que la consommation d'héroïne avait endommagé mes veines, poursuit Romell Broom. J'ai été contrarié par ce commentaire parce que je n'ai jamais pris d'héroïne ni aucune autre drogue par intraveineuse."
Poursuivant son récit il affirme que l'infirmier n'arrêtait pas de répéter que la veine était là, "juste là". Et d'ajouter : "J'ai essayé de les aider en essayant d'étendre mon bras." Nouvelle pause. Nouvelle intervention d'un des gardiens qui lui conseille de "se relaxer". "A ce stade, je me suis senti très mal, affirme Romell Broom. J'ai commencé à pleurer à cause de la douleur. Les infirmiers plaçaient les aiguilles dans des zones déjà contusionnées et gonflées. J'ai demandé à arrêter le processus et s'il était possible de parler à mon avocat."
Le responsable des gardiens lui demande alors de se mettre assis afin que "le sang coule plus librement". Entre dans la pièce l'infirmière en chef ; "une femme asiatique" qui "tenta d'accéder à des veines de ma cheville droite". D'après Romell Broom, l'aiguille percute un os. "J'ai crié, dit-il. Dans le même temps, l'infirmière en chef a essayé d'atteindre une veine dans la partie inférieure de ma jambe gauche tandis que l'infirmier essayait simultanément d'accéder à une veine de ma cheville droite."
Nouvel échec, l'infirmière en chef quitte la salle. Son collègue, lui, reste auprès de Romell Broom et effectue deux tentatives à la main droite.
Romell Broom poursuit son récit : "Le degré de souffrance était à son maximum." Encore une fois, le chef des gardiens lui demande de "se relaxer". Le directeur de l'établissement fait alors son entrée et annonce que la procédure d'exécution est interrompue. Il s'adresse au condamné pour lui dire qu'il a apprécié sa coopération. "Il a également loué le professionnalisme de son équipe."
A l'issue de sa déclaration, Romell Broom note : "Attendre d'être encore exécuté est angoissant." Et cette ultime phrase : "Je suis sans cesse ramené au fait que je vais devoir subir la même torture que celle que m'ont infligée les autorités de l'Ohio ce mardi 15 septembre 2009, parce que le protocole d'exécution de l'Ohio n'a pas changé, et l'état de mes veines non plus."
Nicolas Bourcier, Le Monde
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