La liberté, rien que la liberté

La liberté, rien que la liberté

samedi 19 septembre 2009

LA ROUTE DU CHANGEMENT ?

Changeons-nous pour changer le Cameroun !


Pour le prêtre jésuite, la société civile et l’église catholique doivent travailler la main dans la main pour assurer la transparence du scrutin présidentiel de 2011
Ces dernières semaines on a observé de l’agitation au sein de la société civile camerounaise au sujet d’un éventuel candidat de celle-ci aux prochaines élections présidentielles. Il me semble que c’est non seulement se méprendre sur la nature et la fonction de la société civile dans la sphère politique mais c’est aussi prendre le problème de l’alternance au Cameroun par le mauvais bout. Dans un ouvrage de référence en la matière S. C. Abega écrivait : «Si la société civile profère un discours politique, qui peut se révéler parfois très critique à l’égard du pouvoir en place, sa vocation est de rester apolitique» (Cf. Le retour de la société civile en Afrique, Paris, Karthala, 2007, p. 18). Autrement dit, tout en étant une force de proposition, voire d’opposition, en faveur des intérêts des citoyens, la société civile se distingue de l’Etat et d’un parti d’opposition. C’est ce qui fait sa spécificité. Il s’ensuit que dès qu’un citoyen entre dans la course pour le pouvoir, il devient un politicien et cesse d’appartenir à la société civile. D’où cette définition de la société civile : «Pour ne pas prendre de risques, je définirai la société civile comme une instance d’intermédiation entre la base et le sommet qui peut être l’Etat. Ce que j’appelle la base est la population, le sommet pouvant s’identifier, soit à l’Etat, soit aux organismes internationaux… » (ibid., 16). Il me semble donc que le meilleur service que la société civile peut rendre aux citoyens camerounais aujourd’hui n’est pas de leur proposer un candidat aux prochaines présidentielles, mais plutôt de s’organiser à l’échelle nationale pour poursuivre le combat pour une véritable transparence électorale qui est loin d’être acquise dans notre pays. En cette matière je suggère ici que la société civile camerounaise intéressée par l’ouverture démocratique s’inspire d’un travail sérieux et difficile qu’a fait et continue de faire le Service National Justice et Paix de la Conférence Episcopale Nationale du Cameroun sur la transparence des élections depuis plus de deux décennies. Une « épaisse couche de brouillard »La Conférence Episcopale Nationale du Cameroun , par le biais son Service National «Justice et Paix», a publié récemment un document bilingue intitulé Manuel d’éducation à la citoyenneté (2009) dans lequel l’Eglise catholique affiche son souci de contribuer au progrès de la démocratie et de la bonne gouvernance au Cameroun. Au cœur de cet ouvrage didactique, structuré en modules pour éduquer les citoyens à la participation politique, trône la problématique de la légitimité de l’exercice du pouvoir politique que les auteurs lient étroitement à l’épineux problème de la transparence des élections en Afrique, y compris le Cameroun. Le document revient, entre autres, sur trois éléments majeurs qui, depuis des décennies, brouillent la transparence et la clarté des élections au Cameroun : la mainmise du régime en place sur le processus électoral, les découpages électoraux et la gestion des listes électorales.Par exemple dans la section consacrée à l’organisation des élections, l’Eglise catholique questionne la neutralité du gouvernement et de la majorité au pouvoir avant de conclure : « De fait l’éthique citoyenne commande la neutralité la plus absolue dans l’organisation des élections, de façon à conférer au processus électoral, les propriétés de clarté et de transparence. … Ceci nous amène à questionner certaines des opérations considérées qui interviennent le plus souvent dans le contexte camerounais. Il en va de même de la technique des découpages spéciaux qui peut sembler problématique au regard des exigences d’impartialité et de neutralité… » (p. 142). Concernant la gestion des listes électorales, le document de la Conférence Episcopale Nationale du Cameroun juge l’état actuel des choses insatisfaisant et inquiétant, «le sujet étant entouré d’une épaisse couche de brouillard.». Et «Cette tenue malencontreuse d’un dispositif capital pour les élections est de nature à entretenir la confusion la plus totale sur les changements d’inscription sur les listes, les inscriptions multiples et ainsi brouiller le contentieux des inscriptions sur les listes électorales.» (pp. 80-81). Ce «brouillard» et cette «confusion totale» profitent bel et bien aux spécialistes des fraudes électorales tapis dans l’ombre puisqu’il s’agit des œuvres des ténèbres.Une mémoire blesséeDepuis 50 ans des camerounais, politiciens ou non, se battent et risquent leur vie pour des élections libres et transparentes. Et Dieu seul sait s’il y a jamais eu d’élections démocratiques dans notre pays ! En effet, beaucoup, et pas seulement des camerounais, sont convaincus aujourd’hui que si notre jeune démocratie n’a pas encore goûté aux délices de l’alternance politique par les urnes c’est à cause de fraudes électorales. L’anthropologue français de renom, Jean-Pierre Warnier, bon connaisseur du Cameroun, n’a pas hésité à écrire ce qui suit dans son très récent livre intitulé Régner au Cameroun : «Grâce aux fraudes électorales, Paul Biya fut réélu président du Cameroun en Octobre 1992, contre John Fru Ndi, qui fut déclaré vainqueur par les Etats-Unis et qui, à ce titre, fut invité à la cérémonie d’investiture de Bill Clinton à Washington contrairement à son rival.» (Karthala, Paris, 2009, p. 13). Voila un autre son de cloche auquel le «décodeur» Francois Mattei pourrait accorder un peu plus d’attention dans la prochaine édition de son récent ouvrage Le code Biya. Depuis la restauration du multipartisme au Cameroun en 1990, le régime en place résiste farouchement à la mise en place d’une commission électorale véritablement indépendante. Après la nomination en début d’année des membres de ELECAM par le président Biya, quelques leaders de partis d’opposition ainsi que des personnalités de la société civile ont tenté en vain de faire entendre raison au régime en place sur l’impérieuse nécessité de revoir la composition de cette structure. Face à cette résistance suspecte, nombre de camerounais se demandent comme par le passé si ça vaut même la peine de voter en 2011.Face à une telle situation de désaffection populaire, il revient à la société civile camerounaise d’éduquer et de mobiliser les Camerounais dans des structures parallèles pour empêcher, limiter et documenter d’éventuelles fraudes. C’est ce que fait le Service National Justice et Paix de la Conférence Episcopale Nationale du Cameroun depuis près de deux décennies et une collaboration en la matière avec la société civile camerounaise aurait plus d’impact. Je me permets de citer encore S.C. Abega : «Je pense qu’une libération des forces de la base par une prise de conscience de ses droits et de ses potentialités peut amener des avancées dans l’ouverture démocratique et une meilleure mise en œuvre des projets de développement étatiques et privés. Une telle impulsion ne peut venir de l’administration ou des élus qui ne sont pas encore complètement débarrassés des réflexes arthrosés de l’époque précédente… Il appartient à la société civile de susciter et de canaliser un pareil élan. C’est par exemple le rôle de la presse, c’est aussi celui des syndicats, de certaines associations et ONG. » (S.C. Abega, op. cit., p. 12). On peut signaler à titre d’exemple le combat par la plume mené depuis trente ans par Le Messager pour l’ouverture démocratique et les libertés civiques au Cameroun.Jusqu’où peuvent aller l’Eglise catholique et la société civile ?Ces deux dernières décennies, par le biais de ses commissions diocésaines Justice et Paix, l’Église catholique a systématiquement formé et envoyé sur le terrain, à l’échelle nationale, des observateurs pendant les élections au Cameroun. Ces observations donnent toujours lieu à un rapport de synthèse des services de la Conférence Episcopale Nationale sur le caractère démocratique des élections. Après les présidentielles du 11 octobre 2004, ce rapport titré De la souveraineté du peuple camerounais en question (Yaoundé, Presses Universitaires d’Afrique, 2005), avec une introduction prophétique du Secrétaire Général de la CENC de l’époque était très accablant en matière de fraudes. Il déplorait l’impunité y relative et concluait : nous pouvons et devons faire mieux. En effet, en plus des efforts déployés pour l’observation à l’échelle nationale, L’Eglise catholique et la société civile peuvent collaborer pour obtenir de l’administration d’être associées à d’autres phases critiques du processus électoral, notamment l’inscription sur les listes électorales, le déroulement des élections et les opérations de décompte. Pour arriver à une véritable transparence, il faut absolument en cette matière une structure de vérification et de décompte parallèle à celle de l’administration camerounaise ou de ELECAM. Cette structure doit être présente jusque dans les bureaux d’élection. Ce combat reste à mener ! L’Eglise catholique dispose en la matière de grands atouts. D’abord son réseau national d’institutions religieuses et sociales dont ne dispose aucune autre structure. En effet, à travers ses paroisses, ses écoles et ses dispensaires, l’Eglise catholique est présente sur presque toute l’étendue du territoire national. Elle peut, en collaboration avec d’autres organisations de la société civile, mobiliser ce réseau institutionnel et humain pour contrôler parallèlement le processus électoral d’abord au niveau des paroisses, ensuite au niveau diocésain et enfin au niveau national. Cela permettra de limiter les fraudes dans les coins inaccessibles à certains protagonistes et de traduire dans les actes la doctrine sociale de l’Eglise sur la justice sociale et politique. En rendant ce service au peuple camerounais, l’Eglise catholique et la société civile ne feront nullement la politique partisane, elles seront plutôt au service de la justice. Martin Luther King (1929-1968), le pasteur baptiste noir américain, l’un des avocats de la révolution non violente, ne ratait jamais l’occasion d’utiliser son pupitre et même la rue pour la défense des droits civiques. Son combat lui coûta la vie mais porta du fruit. Il contribua à l’abolition de la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Il est temps que les évêques, les pasteurs, les prêtres et les laïcs s’inspirent de ses méthodes pour faire avancer la démocratie au Cameroun. Remarquons que les autorités religieuses sont les seuls leaders qui communiquent au moins une fois par semaine avec des millions de Camerounais. Il s’agit d’un potentiel révolutionnaire énorme pour la défense des droits civiques, mais malheureusement peu exploité. Tant que le défi des élections libres et transparentes piloté par une organisation indépendante ne sera pas relevé, tout le reste ne sera que vaine agitation. Même si la transparence n’est pas synonyme d’alternance, à quoi bon présenter le meilleur candidat du monde si les fraudes l’empêcheront de passer? Quiconque veut battre le candidat du RDPC aux prochaines élections doit se lever tôt car ce parti a prouvé en moins de trois décennies qu’il a plus d’un tour dans sa poche. Il a réussi à phagocyter l’opposition camerounaise qui ressemble aujourd’hui à un chien sans dents. La renaissance politique passera par l’émergence de nouveaux et jeunes leaders politiques capables de réconcilier les camerounais avec la politique et de tenir un discours capable de mobiliser ces masses, surtout cette jeunesse, qui croule sous le poids des décennies d’égoïsme politique. Cela demande du charisme, des moyens matériels et humains, mais surtout du temps. Et 2011 n’est plus très loin. Les jeunes politiciens ambitieux et sérieux doivent donc se dépêcher de cueillir ce fruit mûr. Nos larmes ne sont pas des armes. Changeons-nous pour changer le Cameroun!
© Père Ludovic LADO

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