Ouverture d'un procès à haut risque pour Vivendi
Ce lundi doit enfin s'ouvrir à New York le procès de la « class action » lancée en 2002 par des actionnaires s'estimant floués par la gestion de l'ex-PDG Jean-Marie Messier
Plus de sept ans après les faits, et après de multiples reports, doit s'ouvrir le 5 octobre, devant le tribunal du district sud de New York, un procès inédit à plus d'un titre. C'est la « class action » (action de groupe) engagée par des actionnaires de Vivendi s'estimant floués par la gestion de l'ex-PDG Jean-Marie Messier et de son directeur financier Guillaume Hannezo. Les deux anciens dirigeants sont d'ailleurs poursuivis aux côtés de la société. Cette affaire est l'une des dernières, encore non réglée, héritée de l'ère Messier .
La plainte, déposée en 2002, porte sur la communication financière de Vivendi de 2000 à 2002. À l'époque et jusqu'en 2006, le groupe était coté à Wall Street. Parmi les plaignants figure Liberty Media, la société de John Malone, qui, lors de la vente de 21 % de USA Networks à Vivendi fin 2001, avait été payée en partie en actions.
Le procès pourrait durer deux à trois mois. Les plaignants estiment le préjudice à plusieurs milliards de dollars. Et le droit américain permet d'infliger des dommages allant jusqu'à trois fois le préjudice. Si Vivendi est condamné à une amende, celle-ci sera répartie entre tous les actionnaires qui se manifesteront, y compris après le verdict, sauf ceux qui ont indiqué avant le 15 septembre ne pas vouloir participer à la procédure — c'est le principe d'« opt out » des class actions américaines. Des annonces en ce sens sont parues début juillet dans la presse française, et un site Web a même été ouvert (Vivendiclassaction.com).
Toutefois, Vivendi peut, jusqu'à la fin du procès, mettre fin à la procédure en transigeant avec les plaignants — en clair, en leur faisant un gros chèque. Des négociations en ce sens auraient déjà eu lieu, mais n'ont pas abouti, apparemment en raison de divergences sur le montant du chèque.
Vivendi a très peu communiqué sur ce sujet, et n'a rien provisionné dans ses comptes concernant ce litige. Mais elle a discrètement pris des mesures pour limiter les dégâts potentiels. D'abord, elle a souscrit une assurance pour se couvrir. Ensuite, elle a dépensé d'importants frais d'avocats — rien que 75 millions de dollars entre 2005 et 2006.
Jusqu'à présent, le point sur lequel Vivendi s'est battu le plus vigoureusement concerne les actionnaires français. En effet, le juge Richard Holwell, qui jugera l'affaire, a estimé en 2007 que les actionnaires américains, anglais, néerlandais, mais aussi français, pourront être indemnisés via cette class action — une première, selon Vivendi. Cette décision a rendu furieux le groupe dirigé par Jean-Bernard Levy, car le tribunal, pour calculer le préjudice, se basera notamment sur le nombre d'actionnaires concernés. Et le poids des actionnaires français est très important : 37 % à 67 % des actionnaires, selon les déclarations successives de Vivendi. Le groupe de médias a donc milité pour que les actionnaires français soient exclus de la procédure, afin de réduire le coût potentiel. Il a affirmé que, si les actionnaires français restaient dans la procédure, alors le coût de toute transaction devenait prohibitif, et que Vivendi sera alors « forcé de poursuivre la procédure jusqu'au bout ».
D'un point de vue juridique, il faut, pour inclure les actionnaire français, que le résultat de cette class action soit reconnu par un tribunal français. Un vif débat a donc eu lieu sur ce point devant le tribunal américain. Les plaignants français (représentés par Me Maxime Delespaul) ont versé au dossier les déclarations du président Chirac en faveur des class actions, puis les rapports Attali et Coulon. En face, Vivendi a répondu que les actionnaires avaient, en droit français, plusieurs possibilités d'agir individuellement, citant notamment l'action intentée devant le tribunal de grande instance de Paris par Me Frederik-Karel Canoy, et qui pourrait aboutir en 2010. Le groupe français a aussi versé aux débats moult expertises assurant que les class actions à l'américaine — en particulier leur système d'« opt out » — seraient contraires à la Constitution. Le constitutionnaliste Guy Carcassonne, deux directeurs successifs des affaires civiles au ministère de la Justice (Marc Guillaume et Pascale Fombeur), et même l'ancien ministre de la Justice Pascal Clément ont tous témoigné en ce sens à la demande de Vivendi. À noter toutefois que Pascal Clément est aujourd'hui employé par le cabinet d'avocats Orrick, qui travaille pour Vivendi dans le dossier polonais Elektrim. Vivendi a aussi souligné que les actionnaires français ont été exclus en 2008 d'une class action contre Alstom pour cette raison. Le Medef a aussi témoigné en faveur de Vivendi, assurant sa « ferme hostilité » vis-à-vis des actions de groupe, mais le juge Holwell a jugé ce témoignage « peu surprenant »... Sur le fond, le juge, après lecture attentive des décisions de la haute juridiction française, a conclu que celle-ci n'avait jamais clairement rejeté le principe de l'« opt out ». Ensuite, Vivendi a contesté cette décision en appel, puis en cassation devant la Cour suprême, puis à nouveau devant le juge Holwell — à chaque fois en vain. Vivendi vient donc de faire appel pour la seconde fois.
« un très bon dossier »
Sur le fond, les plaignants soulèvent 6 griefs (voir encadré). Tous ces griefs ont été jugés recevables en 2003, le tribunal les estimant suffisamment étayés et crédibles. Le tribunal a seulement estimé que Guillaume Hannezo n'était pas responsable des déclarations de son patron, et qu'il n'avait tiré aucun enrichissement personnel des faits. En revanche, il a estimé que J2M a pu tirer un bénéfice personnel de la hausse du cours de Bourse et de la rentabilité, sur laquelle son bonus était indexé. Il a rejeté les arguments de J2M, qui plaidait ne pas avoir eu le « contrôle effectif » du groupe. Il a aussi rejeté les autres arguments de Guillaume Hannezo, qui affirmait ne pas avoir fait partie de ceux qui « contrôlaient » le groupe, et n'être pas responsable des communiqués de la société. Il a aussi éconduit Vivendi quand ce dernier a plaidé que les propos de Jean-Marie Messier cités par la presse ou des analystes avaient été mal rapportés...
Officiellement, Vivendi estime « avoir un très bon dossier », comme le déclarait son président du directoire Jean-Bernard Levy en 2007. « La SEC aux États-Unis et en France l'AMF, la cour d'appel de Paris, et la Cour de cassation, après avoir mené pendant des années une procédure attentive et examiné en détail tous nos documents, ont validé tous nos comptes et tous nos rapports annuels », rappelait-il. Sous entendu : s'il y avait eu des fautes graves, les gendarmes de la Bourse auraient fini par les trouver. Une position qui est aussi en substance celle de Jean-Marie Messier .
À noter, les 6 griefs soulevés dans la class action ne recoupent quasiment pas ceux relevés par l'AMF et la SEC. Il n'y a que deux recoupements avec l'enquête de l'AMF : la consolidation de Cegetel et Maroc Telecom (où l'AMF a blanchi J2M), et l'accès à la trésorerie de Cegetel (où l'AMF a jugé l'information fournie insuffisante, mais a été désavouée en appel).
Interrogé, Vivendi souligne que « le seul véritable bénéficiaire d'une class action n'est pas l'actionnaire, mais les avocats spécialisés dans les class actions, qui touchent un pourcentage relativement important des dommages, et pour qui c'est une activité très lucrative. D'ailleurs, un des cabinets qui poursuivent Vivendi est lui-même poursuivi dans une autre affaire pour subornation de témoin ». Allusion au cabinet Milberg qui a été accusé d'avoir payé des clients uniquement pour qu'ils lancent des class actions. Deux associés ont admis les faits, et plaidé coupable.
Jamal Henni, La tribune
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