Comment DG et PCA de sociétés d'Etat s'engraissent sur la fortune publique
La gabegie dans les entreprises publiques et parapubliques ne prend plus seulement la forme des détournements. Dans une correspondance adressée au ministre des Finances fin 2008, feu le président de la Chambre des comptes, Abraham Tchuenté, fait remarquer au gardien de la fortune publique que les Dg et administrateurs de ces entreprises ne respectent pas les seuils réglementaires en ce qui concerne leurs avantages et rémunérations. A en croire le célèbre magistrat, il n'est pas rare qu'un Pca s'en tire avec 5 millions de Fcfa au terme d'une seule session du conseil.
Jusqu'à son décès brutal survenu le dimanche 28 juin 2009, Abraham Tchuenté, le défunt président de la chambre des comptes de la Cour suprême, n'avait pas encore récolté les fruits de ce qui s'apparente à une dénonciation des avantages et autres rémunérations que s'octroient les administrateurs et directeurs généraux (Dg) des sociétés d'Etat du Cameroun, au mépris de la réglementation en la matière. Plus d'un an après sa correspondance adressée dans ce sens au ministre des Finances, Essimi Menyé (nos sources au ministère des Finances indiquent d'ailleurs que ladite correspondance est publiée dans le dernier rapport de la chambre des comptes récemment relayé par la Crtv), les récriminations de ce magistrat hors hiérarchie demeurent sans conséquences palpables. Et les Dg et autres administrateurs des établissements publics administratifs et des entreprises publiques et parapubliques de ce pays réputé pauvre et très endetté, continuent de se faire payer à prix d'or sur le dos du contribuable camerounais.
Tenez par exemple ! Selon la correspondance sus mentionnée dont Mutations a pu avoir copie, les décrets de 1978 et de 1987 portant harmonisation des taux d'indemnités alloués aux présidents des conseils d'administration (Pca) des sociétés d'Etat fixent "à 150 000 et 75 000 Fcfa les plafonds d'allocation mensuelle des Pca et les frais de session des administrateurs". Pourtant, apprend-on dans la lettre sus mentionnée datée du 17 décembre 2008, "la chambre des comptes a relevé que, sur un échantillon de onze établissements publics administratifs et entreprises du secteur public et parapublic [dont les identités ne nous ont pas été révélées par les sources internes au ministère des Finances], deux présidents du conseil bénéficient d'une allocation mensuelle de 500 et 600.000 Fcfa".
Contrôles complaisants
Soit le quadruple du montant plafond (150.000 Fcfa) autorisé par la loi. Ces deux Pca, selon feu Abraham Tchuenté, sont cependant les moins rémunérés. Car, précise le défunt président de la chambre des comptes, sur le même échantillon, "cinq Pca perçoivent mensuellement un million de Fcfa (soit plus de six fois ce que prévoit la loi) et trois 1,5 million de Fcfa (soit 10 fois le montant prescrits par les décrets de 1978 et 1987)".
En plus des allocations mensuelles des Pca qui défient la réglementation en vigueur, la chambre des comptes constate dans la correspondance adressée au ministre Essimi il y a plus d'un an, que pour une seule session, les indemnités allouées aux administrateurs des sociétés faisant partie de l'échantillon oscillent entre 200 et 700.000 Fcfa, alors que les décrets de 1978 et 1987 les fixent à 75.000 Fcfa.
"La chambre a même relevé un cas où ces indemnités de session sont de 5 millions de Fcfa et 3,5 millions de Fcfa respectivement pour le président du conseil et les autres administrateurs", apprend-on. Ceci sans compter que "d'autres avantages non spécifiquement énumérés par la réglementation sont servis aux présidents de conseils d'administration à l'instar des indemnités de logement, même lorsque ceux-ci occupent des fonctions dans l'administration qui leur ouvrent droit auxdites indemnités ; des frais de fonctionnement des hôtels particuliers ; des dotations mensuelles de carburant, de téléphone ; l'équipement des résidences et le renouvellement de cet équipement tous les trois ans".
Même s'il rappelle qu'à côté des décrets de 1978 et de 1987 qui harmonisent le taux d'allocation mensuelle des Pca et les frais de session des administrateurs, il existe la loi du 22 décembre 1999 portant statut général des sociétés d'Etat qui "reconnaît aux assemblées générales la compétence de la détermination du traitement des membres du conseil d'administration", le défunt magistrat précise que selon cette dernière loi, "cette latitude doit s'exercer sous réserve des plafonds fixés par la réglementation en vigueur ; en l'espèce les décrets de 1978 et 1987". Aussi, Abraham Tchuenté s'étonne-t-il de ce que "ces abus" ne soient pas "dénoncés par les représentants des tutelles techniques et financières aux conseils d'administration des structures concernées. S'agissant des établissements publics administratifs, la chambre note également que ces abus ont été avalisés par les contrôles financiers spécialisés".
Rémunération
Cet engraissement des Pca et administrateurs des sociétés d'Etat sur la fortune publique au mépris de la loi est transposable aux directeurs généraux de ces entreprises. En effet, à en croire la correspondance sus visée, bien que "le décret de 1987 dispose à l'article 4 que le salaire des directeurs généraux est égal au salaire indiciaire ou au salaire catégoriel selon le cas, soit un minimum de 300.000 Fcfa, le salaire net perçu par six Dg dont les éléments salariaux ont été examinés par la chambre des comptes se situe à 3 millions de Fcfa à l'exclusion de certains autres avantages".
L'on apprend par ailleurs que les indemnités de responsabilité de ces Dg, "bien que toujours supérieures aux plafonds fixés par le décret sus visé, ont connu une évolution moins rapide que les salaires de base et se situent entre 150 et 325.000 Fcfa".
Tandis que, fait encore remarquer l'ex-président de la chambre des comptes, "les consommations mensuelles d'eau, d'électricité, de téléphone et de carburant fixés par le même décret font plutôt l'objet de la prise en charge totale par la structure". Aussi, la chambre conclut-elle que la rémunération des dirigeants des sociétés d'Etat se fait de manière "quelque peu anarchique". Que "cette rémunération varient d'un exercice à un autre" dans certains cas au sein des "structures de même classification". Et que "la lecture de certains procès verbaux des conseils révèle des cycles de revalorisation des Dg qui généralement précèdent les augmentations des allocations mensuelles des Pca". Une symphonie parfaite, en somme.
© Mutations : Brice R. Mbodiam
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