Danger, alcool frelaté en abondance au Cameroun
La consommation de bière, whisky et arki augmente. Le fléau affecte davantage les plus pauvres, qui se rabattent sur des ersatz d’origine et de composition douteuses.
Au Cameroun, le whisky se vend aux pauvres… en sachet. Depuis trop longtemps le vénérable breuvage écossais se refusait aux petits budgets, trop cher pour la part la plus démunie de la population – la plus nombreuse. L’injustice est désormais réparée. Les petites poches de plastique transparent s’arrachent à bas prix sur les étals des grandes villes comme de l’arrière-pays.
Dans la très rurale Bokito, bourgade située à 120 km au nord de Yaoundé, l’eau-de-vie ambrée, vendue quelques centimes d’euros, est particulièrement appréciée. Moudio, cultivatrice à la maigreur saisissante, s’astreint à un régime draconien : deux sachets le matin pour commencer la journée. Ici, on appelle ça un « démarreur ». Dans son cabas, plusieurs sachets, reliés les uns aux autres, attendent d’être consommés. Son dernier repas ? Elle s’en souvient à peine. Elle ne s’alimente que sur l’insistance de ses proches. Son visage ravagé s’éclaire d’un sourire aux dents corrodées par une mystérieuse substance, ses lèvres brûlées par l’alcool ne saisissent plus les nuances des goûts. Trop faible pour travailler, elle vend tout de même encore assez de maïs au marché de la ville pour s’acheter ses doses. Au fond de ses yeux exorbités se lit une grande détresse. « Il doit bien y avoir un moyen de l’aider, mais nous ne savons pas ce qu’il faut faire », se lamente un de ses proches.
Un « démarreur » ravageur
Dans le pays, il n’existe pas de centre de désintoxication et il y a trop peu de spécialistes pour prendre efficacement en charge la jeune femme à la dérive. À l’hôpital de l’arrondissement, les rares médecins semblent bien trop occupés à soigner les maladies plus « sérieuses ». Pour la société, l’alcoolique est le seul responsable de ses maux, même si quelques-uns reprochent au gouvernement d’avoir fait preuve d’une mansuétude excessive dans la libéralisation de la vente d’alcool.
Le gouvernement a bien tenté d’interdire la consommation d’alcool frelaté. Mais les arrêtés ministériels n’ont pour l’heure pas fait reculer le fléau. Déjà touchées par les ravages de l’arki, une eau-de-vie contenant de l’alcool, de l’essence, de l’éther et de l’aldéhyde, dangereux pour la santé, les populations sont confrontées au marketing agressif des sociétés qui produisent et distribuent ces spiritueux en sachet, dont la composition est incertaine et l’origine douteuse. Si les breuvages en question ont tous l’apparence du whisky, ils sont loin d’en avoir les qualités. Rien sur l’emballage n’indique le degré d’alcool par volume, pas plus que les ingrédients utilisés ni comment il a été distillé.
Au Cameroun, l’industrie brassicole se porte bien. En dépit d’une hausse régulière du prix de la bière, la demande n’arrête pas de progresser, et la concurrence est féroce entre les quatre brasseurs opérant dans le pays. Leader incontesté, la Société anonyme des brasseries du Cameroun (SABC), filiale du groupe français Castel, produit 3,5 millions d’hectolitres par an et représente quelque 80 % des parts du marché local de bière. Viennent ensuite Guinness Cameroun (GCSA), filiale de la multinationale Diageo, le leader mondial des boissons haut de gamme (12 %), l’Union camerounaise des brasseries (UCB) et la Société industrielle d’Afrique centrale (Siac-Isenbeck), rachetée en 2008 par la SABC.
Si, pour le moment, l’État se contente de réguler le secteur et n’a pas encore fait de la lutte contre l’alcoolisme une priorité, face à la progression du fléau, Guinness Cameroun (qui affiche une hausse de 19 % de ses ventes de bière en 2009) a investi dans la prévention. En décembre dernier, avec le soutien du footballeur Samuel Eto’o, l’entreprise a lancé une campagne de sensibilisation pour susciter un changement du comportement chez les consommateurs. Quant aux Brasseries du Cameroun, elles polissent leur image en finançant la formation des footballeurs qui font les beaux jours de la sélection nationale.
À la suite de la dévaluation du franc CFA, en 1994, qui a entraîné une hausse des coûts des matières premières importées tels le malt et le houblon, les brasseurs ont réduit la part de ces derniers dans la composition des bières pour les remplacer par du maïs produit localement. Mais cela n’a pas suffi à maintenir les prix à un niveau accessible aux consommateurs les moins favorisés.
Au Cameroun, le whisky se vend aux pauvres… en sachet. Depuis trop longtemps le vénérable breuvage écossais se refusait aux petits budgets, trop cher pour la part la plus démunie de la population – la plus nombreuse. L’injustice est désormais réparée. Les petites poches de plastique transparent s’arrachent à bas prix sur les étals des grandes villes comme de l’arrière-pays.
Dans la très rurale Bokito, bourgade située à 120 km au nord de Yaoundé, l’eau-de-vie ambrée, vendue quelques centimes d’euros, est particulièrement appréciée. Moudio, cultivatrice à la maigreur saisissante, s’astreint à un régime draconien : deux sachets le matin pour commencer la journée. Ici, on appelle ça un « démarreur ». Dans son cabas, plusieurs sachets, reliés les uns aux autres, attendent d’être consommés. Son dernier repas ? Elle s’en souvient à peine. Elle ne s’alimente que sur l’insistance de ses proches. Son visage ravagé s’éclaire d’un sourire aux dents corrodées par une mystérieuse substance, ses lèvres brûlées par l’alcool ne saisissent plus les nuances des goûts. Trop faible pour travailler, elle vend tout de même encore assez de maïs au marché de la ville pour s’acheter ses doses. Au fond de ses yeux exorbités se lit une grande détresse. « Il doit bien y avoir un moyen de l’aider, mais nous ne savons pas ce qu’il faut faire », se lamente un de ses proches.
Un « démarreur » ravageur
Dans le pays, il n’existe pas de centre de désintoxication et il y a trop peu de spécialistes pour prendre efficacement en charge la jeune femme à la dérive. À l’hôpital de l’arrondissement, les rares médecins semblent bien trop occupés à soigner les maladies plus « sérieuses ». Pour la société, l’alcoolique est le seul responsable de ses maux, même si quelques-uns reprochent au gouvernement d’avoir fait preuve d’une mansuétude excessive dans la libéralisation de la vente d’alcool.
Le gouvernement a bien tenté d’interdire la consommation d’alcool frelaté. Mais les arrêtés ministériels n’ont pour l’heure pas fait reculer le fléau. Déjà touchées par les ravages de l’arki, une eau-de-vie contenant de l’alcool, de l’essence, de l’éther et de l’aldéhyde, dangereux pour la santé, les populations sont confrontées au marketing agressif des sociétés qui produisent et distribuent ces spiritueux en sachet, dont la composition est incertaine et l’origine douteuse. Si les breuvages en question ont tous l’apparence du whisky, ils sont loin d’en avoir les qualités. Rien sur l’emballage n’indique le degré d’alcool par volume, pas plus que les ingrédients utilisés ni comment il a été distillé.
Au Cameroun, l’industrie brassicole se porte bien. En dépit d’une hausse régulière du prix de la bière, la demande n’arrête pas de progresser, et la concurrence est féroce entre les quatre brasseurs opérant dans le pays. Leader incontesté, la Société anonyme des brasseries du Cameroun (SABC), filiale du groupe français Castel, produit 3,5 millions d’hectolitres par an et représente quelque 80 % des parts du marché local de bière. Viennent ensuite Guinness Cameroun (GCSA), filiale de la multinationale Diageo, le leader mondial des boissons haut de gamme (12 %), l’Union camerounaise des brasseries (UCB) et la Société industrielle d’Afrique centrale (Siac-Isenbeck), rachetée en 2008 par la SABC.
Si, pour le moment, l’État se contente de réguler le secteur et n’a pas encore fait de la lutte contre l’alcoolisme une priorité, face à la progression du fléau, Guinness Cameroun (qui affiche une hausse de 19 % de ses ventes de bière en 2009) a investi dans la prévention. En décembre dernier, avec le soutien du footballeur Samuel Eto’o, l’entreprise a lancé une campagne de sensibilisation pour susciter un changement du comportement chez les consommateurs. Quant aux Brasseries du Cameroun, elles polissent leur image en finançant la formation des footballeurs qui font les beaux jours de la sélection nationale.
À la suite de la dévaluation du franc CFA, en 1994, qui a entraîné une hausse des coûts des matières premières importées tels le malt et le houblon, les brasseurs ont réduit la part de ces derniers dans la composition des bières pour les remplacer par du maïs produit localement. Mais cela n’a pas suffi à maintenir les prix à un niveau accessible aux consommateurs les moins favorisés.
Des personnels soignants en état d’ébriété
En revanche, ce recours au maïs a eu pour effet pervers de creuser le déficit alimentaire du pays. Selon une étude menée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), déjà, en 1985, 30 % de la production camerounaise de maïs servait à la production de la bière artisanale, et, aujourd’hui, le pays doit importer 10 000 tonnes de maïs par an pour compenser le déficit. Selon la même étude, en zone non musulmane, la consommation de la bière de mil (dont la distillation clandestine se fait sans aucun contrôle sanitaire) a été évaluée à 350 litres par personne et par an.
Pour Hubert Mono Ndzana, enseignant la philosophie à l’université de Yaoundé-I, « l’alcool, tout comme le football et les Églises évangéliques, sert de dérivatif. De plus en plus de gens boivent pour se détourner du quotidien ». Dans la plus grande ville du pays, Douala, les chômeurs, qui constituent 22 % de la population (13 % au niveau national), sont particulièrement touchés. « Nous diagnostiquons de plus en plus de pancréatites aiguës et d’autres pathologies d’origine alcoolique chez les patients qui viennent consulter », confie un médecin de l’hôpital Laquintinie de Douala. À l’hôpital central de Yaoundé, c’est le personnel soignant qui cause des soucis au directeur. À la suite de plaintes émanant de patients maltraités par des personnels en état d’ébriété, il a dû interdire la vente de boissons alcoolisées dans les cantines de l’établissement.
© Jeune Afrique, Georges Dougueli
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