La liberté, rien que la liberté

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jeudi 20 mai 2010

Cameroun : Cinquantenaire de l'indépendance ou la fête du RDPC de Paul BIYA

«J'en ai rien à faire du cinquantenaire de l’indépendance du Cameroun. On n'a même pas d'eau potable!»

Le Cameroun commémore, ce jeudi, les cinquante ans de son indépendance à l'occasion de la fête nationale. Les festivités, très officielles, laissent un goût amer à la population.

La scène semble résumer à elle seule l’ambiance de la commémoration organisée par le Cameroun pour les cinquante ans de son indépendance, célébrés aujourd’hui à l’occasion de la fête nationale. Une quarantaine de badauds sont massés au-dessus d’un terrain vague où s’amoncellent papiers et détritus, à Yaoundé, la capitale. En face se dresse le Hilton, l’hôtel de luxe où logent les personnalités étrangères invitées pour l’occasion.En contrebas se déroule le défilé. Certains sont venus par curiosité, d’autres parce que «c’est important». Mais tous se sentent mis à l’écart de cet anniversaire symbolique, que la plupart des habitants suivront à la télévision.

Dans le groupe, Patrice Njeng, 30 ans, venu avec son fils pour voir les chars et «vérifier si mon armée est assez solide pour nous défendre en cas d’attaque». Il ne s’attardera pas pour autant. Car pour lui, «cette commémoration est là pour montrer à la communauté internationale qu’il y a la paix et la sécurité, alors qu’à l’intérieur du pays cela ne tourne pas bien». Cinquante ans après l’indépendance du Cameroun, la «paix» vantée sur les banderoles dans la ville est bien réelle, mais la «prospérité» reste encore étrangère à la population.

La preuve, affirme Patrice Njeng: impossible de trouver du travail malgré son diplôme en biologie animale. «On m’a dit que ce n’est pas de la faute du président (Paul Biya, au pouvoir depuis 1982) mais de son entourage.» Il n’empêche, «un chômeur ne peut pas applaudir un homme à la tête de son pays. Tant qu’il restera au pouvoir, les riches resteront riches et les pauvres resteront pauvres». Il se dit d’autant plus «désespéré» que Paul Biya a modifié la Constitution pour pouvoir se représenter à la présidentielle en 2011. «On piétine la démocratie, ici», affirme-t-il calmement en observant le défilé.

«Il n’y a pas de démocratie»
Autour de lui, des dizaines d’habitants marchent d’un pas pressé. Toutes les rues alentour ont été fermées à la circulation jusqu’à l’aéroport. Quand une voiture du cortège présidentiel passe, tout le monde s’immobilise immédiatement. Une consigne des militaires. Un signe de tête, puis ils reprennent leur marche. Charles Tchoula, 71 ans, s’en agace: «Vous avez déjà vu un endroit où on s’arrête quand le président passe, vous?» Il marche depuis une heure à cause des routes bloquées. «Hier c’était déjà le cas, et là je subis le même sort. A chaque fois c’est pareil».

Lui ne s’arrêtera pas pour entr’apercevoir le défilé avec le reste du groupe. «J’en ai rien à faire du cinquantenaire, lâche le vieil homme. On n’a même pas d’eau potable! Cinquante ans après! Même pas de toilettes publiques, et regardez nos rues…» Il avait 21 ans quand le Cameroun est devenu indépendant. Mais déjà à cette époque, «mes espoirs se sont envolés quand j’ai vu que ceux qui ont lutté pour l’indépendance, les membres du parti UPC, ont été mis à l’écart». Pour lui, «le Cameroun n’est pas indépendant. Nous sommes encore au Franc CFA, nous n’avons même pas notre propre monnaie. Et il existe 350 partis politiques. Que voulez-vous faire avec ça? C’est absurde et le signe qu’il n’y a pas de démocratie. Alors forcément le bilan du cinquantenaire est plus négatif que positif.» La France? «Ce n’est pas de sa faute si le pays est dans cet état mais celle des valets qui sont au pouvoir ici. La Françafrique n’a pas disparu avec Sarkozy, contrairement à ce qu’il dit. Il est allé voir (l’ex-président du Gabon) Omar Bongo quand il était à peine investi à la présidence.»

Célébrations à un niveau très officiel
Le long des rues, derrière les immeubles, on aperçoit parfois la tribune présidentielle. Pour ce cinquantenaire célébré à un niveau très officiel, le président Biya a demandé à EuroRSCG de faire venir des personnalités étrangères pour participer à une conférence internationale sur l’avenir du continent. Parmi eux, des chefs d’Etat africains, deux prix Nobel de la Paix, deux anciens Premiers ministres français, Alain Juppé et Michel Rocard, et le ministre à la Coopération, Alain Joyandet. Alain Juppé reconnaît que le bilan est «contrasté. Il y a eu des échecs, mais pas seulement à cause de la France». Cinquante ans après, ce bilan laisse un goût amer aux Camerounais, qui se sentent délaissés par le pouvoir. A l’image des commémorations, qu'ils observent de loin faute d’avoir été invités à y participer.
© Faustine Vincent

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