Misère des enseignants camerounais
En matière d'Éducation, considérée comme processus et résultat, (presque) tout a été dit, mais beaucoup reste à faire. C'est une banalité lorsqu'on affirme aujourd'hui que le système éducatif camerounais, du moins ce qui en tient lieu, est obsolète et gangrené dans tous ses rouages. Les méfaits de la gangrène sont (s'annoncent) désastreux pour les jeunes qui reçoivent l'éducation au premier chef et pour la société en général.
Si tout le monde semble s'accorder sur son inadaptation à notre contexte socioculturel et les causes du mal, les divergences persistent cependant sur les remèdes susceptibles de redresser la situation et sur la manière de les administrer. Ces divergences, et surtout, l'absence de volonté politique continuent de bloquer l'application de la loi n°98/004 du 14 avril 1998 d'orientation de l'Éducation. Et, quatorze (14) ans après la tenue des États de l'Éducation en 1995, la suppression du probatoire reste toujours attendue.
Elle n'est, peut-être, plus à l'ordre jour.
Certes, la situation de l'éducation au Cameroun interpelle d'abord les enseignants, ce corps d'élites auquel incombe la mission de transmettre aux apprenants les connaissances livresques, et au-delà, de leur enseigner les valeurs morales et éthiques, bref d'éduquer et de former la jeunesse camerounaise. Mais, jusqu'où peuvent aller nos " grands maîtres ", " grands profs " et autres " teachers " lorsqu'on sait qu'aujourd'hui plus qu'hier, malgré la " revalorisation " en trompe-l'oeil des salaires, malgré la croissance économique annoncée et célébrée, malgré l'atteinte du point d'achèvement de l'Initiative pays pauvres très endettés, leur situation n'est guère reluisante et enviable. La misère, la marginalisation restent leurs lots quotidiens.
Que n'a-t-on pas vu ? De l'enseignant piéton et mendiant à l'enseignant clochard, l'image que laissent ces "levain de la pâte sociale" est choquante. Ce qui inquiète est moins leur situation de laissés pour compte de la société que le déshonneur, la déconsidération (même au sein de leurs ministères) et les dépravations auxquels les ont confiné les années de délinquance d'un système cynique, juvénophobe ayant fait de l'enseignant celui qui doit tout donner pour former les jeunes mais pour qui on ne peut consentir le moindre traitement honorable. C'est à peine si la société et les pouvoirs publics ne les considèrent pas comme des " parias " ou des " sous-hommes ".
L'apartheid salarial pratiqué à la fonction publique camerounaise saute même aux yeux des aveugles. Même au sein de leurs ministères respectifs, ils sont laissés à la merci des hommes politiques influents et des individus proches du chef de l'État ou de la première dame. Dans lesdits ministères, il suffit que " ces hommes bien de là-bas " qui gravitent autour du Roi Soleil, exigent que les ministres relèvent des enseignants de leurs fonctions ou qu'ils les exilent dans des coins les plus reculés de la République pour que ces ministres, dont l'un des devoirs est de protéger leurs collaborateurs, s'exécutent sans chercher à savoir si ces enseignants sont coupables des fautes dont ils sont accusées ou s'ils ont commis une faute professionnelle.
On comprend pourquoi certains enseignants choisissent les voies de droit pour que justice soit rendue pendant que d'autres grognent et, à travers leurs syndicats, menacent d'entrer en grève pour protester contre les injustices et leurs mauvaises conditions de vie et de travail. C'est depuis novembre 1993, date de la seconde baisse des salaires que les enseignants camerounais formulent des griefs contre les pouvoirs publics. Cette année là, ils ont vu leur pouvoir d'achat réduit de près de 70%. D'aucuns qui avaient des salaires compris entre 300 et 400 mille francs Cfa ne percevaient plus qu'à peine 100 mille francs Cfa. Leur situation a été aggravée par les effets catastrophiques de la dévaluation du franc Cfa survenue en janvier 1994 sans mesures d'accompagnement.
Depuis lors, il est devenu impossible pour un enseignant de vivre décemment et de s'épanouir dans son lieu de travail. Devenus clochards et/ou mendiants, la seule planche de salut qui leur restait et qui reste encore à certains enseignants, est le racket systématique et sans vergogne des élèves et parents, le monnayage des recrutements et des notes, la corruption, la délation, les harcèlements de toutes sortes et autres trafics sordides qui les dévalorisent et sont à l'origine du mépris que la société affiche envers eux. De nos jours, la démotivation est à son comble. Beaucoup d'enseignants ont quitté la profession. Beaucoup d'autres se sont refugiés dans d'autres ministères. Des milliers d'enseignants ont été admis, sur leur demande, à la retraite par anticipation. Parmi ceux qui restent, la plupart n'a plus le coeur à la tâche. Ils y restent tout simplement parce qu'ils ne trouvent pas (encore) mieux ailleurs.
Dans l'enseignement supérieur, beaucoup d'enseignants ont pris le chemin de l'exil parce que la situation est insupportable, malgré des améliorations notables apportées ces derniers temps, mais qui sont très en deçà de leurs besoins et attentes. Pourtant, les revendications salariales ne sont pas la toute première préoccupation des enseignants. Elles sont faciles à satisfaire dans un contexte d'abondance matérielle et pour peu que les pouvoirs publics manifestent une réelle volonté politique, sans que les conditions du travail soient toujours meilleures. C'est dire si à côté des conditions salariales et de vie déplorable, les conditions de travail sont d'une précarité révoltante.
De fait, c'est d'abord les effectifs pléthoriques. Dans les salles du primaire et du secondaire (en milieu urbain surtout), on trouve des classes de plus de 150 élèves. Dans certaines "universités", les amphis contiennent plus d'un millier d'étudiants. Dans ces situations, certains enfants achèvent une année scolaire n'ayant pu communiquer avec les enseignants que par le biais de devoirs surveillés et/ou des travaux dirigés, le plus souvent notés à l'aveuglette et même pas du tout. A ce problème d'effectifs pléthoriques, se greffe un autre que Sikounmo, professeur de français aujourd'hui retraité, stigmatise : C'est celui de la différence excessive de niveaux entre les élèvesd'une même classe. L'écart est parfois si grand que certains sont capables d'enseigner d'autres.
Alors le pédagogue se demande à quel palier situer son cours: tendre la perche à la foule des traînards quasi irrécupérables ou se contenter d'accompagner la petite poignée de tête? Le niveau de plus en plus bas des épreuves et les fraudes multiformes ne permettent pas de passer par les examens de fin d'année pour effectuer un tri sérieux". Les cadres (établissements scolaires, universités) dans lesquels travaillent les pédagogues camerounais sont des univers surréalistes :absence de manuels, de livres pour maîtres et professeurs, de bibliothèques, de laboratoires, de toilettes; de tables-bancs et de bureaux pour enseignants dans les salles de classe ; délaissement total des bâtiments et autres matériels didactiques quand ils existent ; tableaux noirs devenus blancs et glissant d'usure et de vieillesse, portes et fenêtres sans battants ; établissements sans clôture etc.
A toute cela s'ajoute: le manque de formation et d'évaluation continues des enseignants, les critères flous dans les promotions et nominations des administratifs qui se font généralement sous fond de corruption, de népotisme et de clientélisme, ce qui favorise l'émergence d'une administration parasite, infestée de délinquants séniles, etc. Toutes ces défaillances et bien d'autres entraînent une démobilisation générale des enseignants qui se répercute sur le rendement des élèves, l'intérêt de ces derniers ayant été depuis longtemps relégué au second plan. Muselés, sans secours ni recours, ils sont demeurés les dindons d'une farce de très mauvais goût organisée par les pouvoirs publics qui n'ont cessé d'affirmer, du bout des lèvres, qu'ils sontl'avenir du Cameroun.
Les attitudes des pouvoirs publics n'étonnent plus grand monde. Elles participent des stratégies de pérennisation du système politique actuel qui encourage la prolifération des multinationales de Dieu, préfère tenir les Camerounais captifs de leurs instincts de conservation, et qui a choisi de régner sur des ivrognes et de n'avoir affaire qu'aux ignorants superstitieux et peureux - même lettrés bardés de diplômes - au lieu de faire face à des intellectuels aisés et avisés. Une politique de courte vue, car il est illusoire de penser un seul instant qu'on peut rendre notre système scolaire performant et assurer le développement durable de notre pays sans résoudre les problèmes des enseignants. Nietzsche prophétisait : " Un jour viendra où l'on n'aura plus qu'une seule pensée : l'éducation. " Et Mao Tsé-toung, homme d'État chinois, de rajouter : " Le problème essentiel dans la révolution de l'enseignement est celui de l'enseignant ".
Les institutions financières internationales l'ont si bien compris. Elles qui exigent que les secteurs de l'éducation et de la santé soient prioritaires dans la lutte contre la pauvreté. Selon l'Unesco, il faut " des enseignants de qualité pour une éducation de qualité ". Pour cet organisme du système des Nations uniesn : " Pour améliorer la qualité de l'éducation, il faut d'abord améliorer le recrutement, la formation, le statut social et les conditions de travail des enseignants, car ceux-ci ne pourront répondre à ce qu'on attend d'eux que s'ils ont des connaissances et les compétences, les qualités personnelles, les possibilités professionnelles et la motivation voulue "
Germinal, ICICEMAC
Si tout le monde semble s'accorder sur son inadaptation à notre contexte socioculturel et les causes du mal, les divergences persistent cependant sur les remèdes susceptibles de redresser la situation et sur la manière de les administrer. Ces divergences, et surtout, l'absence de volonté politique continuent de bloquer l'application de la loi n°98/004 du 14 avril 1998 d'orientation de l'Éducation. Et, quatorze (14) ans après la tenue des États de l'Éducation en 1995, la suppression du probatoire reste toujours attendue.
Elle n'est, peut-être, plus à l'ordre jour.
Certes, la situation de l'éducation au Cameroun interpelle d'abord les enseignants, ce corps d'élites auquel incombe la mission de transmettre aux apprenants les connaissances livresques, et au-delà, de leur enseigner les valeurs morales et éthiques, bref d'éduquer et de former la jeunesse camerounaise. Mais, jusqu'où peuvent aller nos " grands maîtres ", " grands profs " et autres " teachers " lorsqu'on sait qu'aujourd'hui plus qu'hier, malgré la " revalorisation " en trompe-l'oeil des salaires, malgré la croissance économique annoncée et célébrée, malgré l'atteinte du point d'achèvement de l'Initiative pays pauvres très endettés, leur situation n'est guère reluisante et enviable. La misère, la marginalisation restent leurs lots quotidiens.
Que n'a-t-on pas vu ? De l'enseignant piéton et mendiant à l'enseignant clochard, l'image que laissent ces "levain de la pâte sociale" est choquante. Ce qui inquiète est moins leur situation de laissés pour compte de la société que le déshonneur, la déconsidération (même au sein de leurs ministères) et les dépravations auxquels les ont confiné les années de délinquance d'un système cynique, juvénophobe ayant fait de l'enseignant celui qui doit tout donner pour former les jeunes mais pour qui on ne peut consentir le moindre traitement honorable. C'est à peine si la société et les pouvoirs publics ne les considèrent pas comme des " parias " ou des " sous-hommes ".
L'apartheid salarial pratiqué à la fonction publique camerounaise saute même aux yeux des aveugles. Même au sein de leurs ministères respectifs, ils sont laissés à la merci des hommes politiques influents et des individus proches du chef de l'État ou de la première dame. Dans lesdits ministères, il suffit que " ces hommes bien de là-bas " qui gravitent autour du Roi Soleil, exigent que les ministres relèvent des enseignants de leurs fonctions ou qu'ils les exilent dans des coins les plus reculés de la République pour que ces ministres, dont l'un des devoirs est de protéger leurs collaborateurs, s'exécutent sans chercher à savoir si ces enseignants sont coupables des fautes dont ils sont accusées ou s'ils ont commis une faute professionnelle.
On comprend pourquoi certains enseignants choisissent les voies de droit pour que justice soit rendue pendant que d'autres grognent et, à travers leurs syndicats, menacent d'entrer en grève pour protester contre les injustices et leurs mauvaises conditions de vie et de travail. C'est depuis novembre 1993, date de la seconde baisse des salaires que les enseignants camerounais formulent des griefs contre les pouvoirs publics. Cette année là, ils ont vu leur pouvoir d'achat réduit de près de 70%. D'aucuns qui avaient des salaires compris entre 300 et 400 mille francs Cfa ne percevaient plus qu'à peine 100 mille francs Cfa. Leur situation a été aggravée par les effets catastrophiques de la dévaluation du franc Cfa survenue en janvier 1994 sans mesures d'accompagnement.
Depuis lors, il est devenu impossible pour un enseignant de vivre décemment et de s'épanouir dans son lieu de travail. Devenus clochards et/ou mendiants, la seule planche de salut qui leur restait et qui reste encore à certains enseignants, est le racket systématique et sans vergogne des élèves et parents, le monnayage des recrutements et des notes, la corruption, la délation, les harcèlements de toutes sortes et autres trafics sordides qui les dévalorisent et sont à l'origine du mépris que la société affiche envers eux. De nos jours, la démotivation est à son comble. Beaucoup d'enseignants ont quitté la profession. Beaucoup d'autres se sont refugiés dans d'autres ministères. Des milliers d'enseignants ont été admis, sur leur demande, à la retraite par anticipation. Parmi ceux qui restent, la plupart n'a plus le coeur à la tâche. Ils y restent tout simplement parce qu'ils ne trouvent pas (encore) mieux ailleurs.
Dans l'enseignement supérieur, beaucoup d'enseignants ont pris le chemin de l'exil parce que la situation est insupportable, malgré des améliorations notables apportées ces derniers temps, mais qui sont très en deçà de leurs besoins et attentes. Pourtant, les revendications salariales ne sont pas la toute première préoccupation des enseignants. Elles sont faciles à satisfaire dans un contexte d'abondance matérielle et pour peu que les pouvoirs publics manifestent une réelle volonté politique, sans que les conditions du travail soient toujours meilleures. C'est dire si à côté des conditions salariales et de vie déplorable, les conditions de travail sont d'une précarité révoltante.
De fait, c'est d'abord les effectifs pléthoriques. Dans les salles du primaire et du secondaire (en milieu urbain surtout), on trouve des classes de plus de 150 élèves. Dans certaines "universités", les amphis contiennent plus d'un millier d'étudiants. Dans ces situations, certains enfants achèvent une année scolaire n'ayant pu communiquer avec les enseignants que par le biais de devoirs surveillés et/ou des travaux dirigés, le plus souvent notés à l'aveuglette et même pas du tout. A ce problème d'effectifs pléthoriques, se greffe un autre que Sikounmo, professeur de français aujourd'hui retraité, stigmatise : C'est celui de la différence excessive de niveaux entre les élèvesd'une même classe. L'écart est parfois si grand que certains sont capables d'enseigner d'autres.
Alors le pédagogue se demande à quel palier situer son cours: tendre la perche à la foule des traînards quasi irrécupérables ou se contenter d'accompagner la petite poignée de tête? Le niveau de plus en plus bas des épreuves et les fraudes multiformes ne permettent pas de passer par les examens de fin d'année pour effectuer un tri sérieux". Les cadres (établissements scolaires, universités) dans lesquels travaillent les pédagogues camerounais sont des univers surréalistes :absence de manuels, de livres pour maîtres et professeurs, de bibliothèques, de laboratoires, de toilettes; de tables-bancs et de bureaux pour enseignants dans les salles de classe ; délaissement total des bâtiments et autres matériels didactiques quand ils existent ; tableaux noirs devenus blancs et glissant d'usure et de vieillesse, portes et fenêtres sans battants ; établissements sans clôture etc.
A toute cela s'ajoute: le manque de formation et d'évaluation continues des enseignants, les critères flous dans les promotions et nominations des administratifs qui se font généralement sous fond de corruption, de népotisme et de clientélisme, ce qui favorise l'émergence d'une administration parasite, infestée de délinquants séniles, etc. Toutes ces défaillances et bien d'autres entraînent une démobilisation générale des enseignants qui se répercute sur le rendement des élèves, l'intérêt de ces derniers ayant été depuis longtemps relégué au second plan. Muselés, sans secours ni recours, ils sont demeurés les dindons d'une farce de très mauvais goût organisée par les pouvoirs publics qui n'ont cessé d'affirmer, du bout des lèvres, qu'ils sontl'avenir du Cameroun.
Les attitudes des pouvoirs publics n'étonnent plus grand monde. Elles participent des stratégies de pérennisation du système politique actuel qui encourage la prolifération des multinationales de Dieu, préfère tenir les Camerounais captifs de leurs instincts de conservation, et qui a choisi de régner sur des ivrognes et de n'avoir affaire qu'aux ignorants superstitieux et peureux - même lettrés bardés de diplômes - au lieu de faire face à des intellectuels aisés et avisés. Une politique de courte vue, car il est illusoire de penser un seul instant qu'on peut rendre notre système scolaire performant et assurer le développement durable de notre pays sans résoudre les problèmes des enseignants. Nietzsche prophétisait : " Un jour viendra où l'on n'aura plus qu'une seule pensée : l'éducation. " Et Mao Tsé-toung, homme d'État chinois, de rajouter : " Le problème essentiel dans la révolution de l'enseignement est celui de l'enseignant ".
Les institutions financières internationales l'ont si bien compris. Elles qui exigent que les secteurs de l'éducation et de la santé soient prioritaires dans la lutte contre la pauvreté. Selon l'Unesco, il faut " des enseignants de qualité pour une éducation de qualité ". Pour cet organisme du système des Nations uniesn : " Pour améliorer la qualité de l'éducation, il faut d'abord améliorer le recrutement, la formation, le statut social et les conditions de travail des enseignants, car ceux-ci ne pourront répondre à ce qu'on attend d'eux que s'ils ont des connaissances et les compétences, les qualités personnelles, les possibilités professionnelles et la motivation voulue "
Germinal, ICICEMAC
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