Au Cameroun, l'ombre du pouvoir pèse sur une opération "mains propres"
Les détracteurs du président camerounais Paul Biya le soupçonnent de tirer les ficelles de l'opération "mains propres", lancée fin 2004 et réactivée en début d'année avec l'incarcération de trois anciens ministres, pour mener une &purge politique.
Depuis les 11 et 12 janvier les ex-ministres de l'Education de base, Haman Adama et du Budget, Henri Engoulou, l'ex-secrétaire d'Etat Catherine Abena et une trentaine d'autres personnes sont emprisonnées.
Tous sont accusés de "détournement de fonds publics", un motif d'inculpation devenu banal au Cameroun, classé par l'ONG Transparency International parmi les pays les plus corrompus. Interrogé par l'AFP en 2008, l'ingénieur financier Babissakana avait estimé que 40% des dépenses de l'Etat ne servaient pas à la nation mais étaient détournées par des fonctionnaires indélicats.
Fin 2004, les autorités ont promis, sous la pression des bailleurs de fonds, de mettre fin à la saignée et lancé l'opération de lutte contre la corruption "Epervier". Depuis, des têtes tombent.
Derrière les barreaux, ils sont désormais une centaine dont 8 ex-ministres (un 9e est mort en détention), 7 anciens patrons d'entreprises publiques, un ex-ambassadeur, un ancien député, tous victimes d'Epervier.
Ceux d'entre eux qui ont déjà été jugés ont été sévèrement condamnés. L'ex-ministre de l'Energie Alphonse Siyam Siwé a ainsi écopé de la perpétuité en appel pour avoir détourné 53 millions d'euros avec 12 complices. De quoi faire réfléchir leurs successeurs.
Toutefois, beaucoup soupçonnent M. Biya, 76 ans dont 27 passés au pouvoir, d'utiliser cette opération "mains propres" à des fins politiques. Dans sa ligne de mire, d'après eux: l'élection présidentielle de 2011 à laquelle il pourrait être candidat.
Epervier est une "opération à tête chercheuse", dénonce ainsi Joshua Osih, vice-président du principal parti d'opposition, le Social Democratic Front (SDF). Elle vise les membres du régime "qui ne sont pas d'accord avec la présidence à vie de Biya" ainsi que "les brebis galeuses qui ne pèsent pas politiquement" et dont les arrestations lui donnent un semblant de crédibilité.
On assiste à une "purge politique" sous couvert de lutte contre la corruption, estime aussi le politologue Alain Fogué.
Selon la presse, plusieurs des ministres emprisonnés, dont celui des Finances Polycarpe Abah Abah suspecté de s'être constitué un fabuleux trésor de guerre, appartiendraient au "G11" (Génération 2011), une nébuleuse informelle constituée par des caciques en vue de la présidentielle.
Faut-il voir des similitudes avec l'affaire Titus Edzoa ? En 1997, cet ancien médecin de M. Biya et homme clé de son régime, avait été arrêté pour "détournement de fonds publics". Il venait, deux semaines auparavant, d'annoncer sa candidature à la présidentielle. Il purge depuis une peine de 15 ans de prison. Un nouveau procès contre lui a été ouvert en octobre.
Pendant ce temps, des personnalités ne sont pas inquiétées alors qu'elles sont elles aussi, selon des rapports d'enquête, "coupables de mauvaise gestion", déplore M. Osih.
Epervier, qui d'après des avocats souffre d'importantes irrégularités de procédure, "n'est pas du tout politique", assure le ministre de la Communication Issa Tchiroma Bakary. La justice "n'est pas aux ordres" de l'exécutif, dit-il.
Procès et emprisonnements ne servent à rien, répond le SDF. Une lutte efficace contre la corruption devrait passer par un système permettant d'identifier l'origine des biens des fonctionnaires et aux gestionnaires indélicats de rembourser les sommes détournées, juge-t-il.
©Reinnier KAZÉ (AFP)
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