1960-2010 : Cinquante ans d’ivresse du pouvoir en postcolonies subsahariennes
Quelle belle image que celle montrant Barack Obama, Bush fils et Bill Clinton entrain d’arrêter ensemble la stratégie américaine pour la reconstruction d’Haïti après le tremblement de terre. Cette image de deux anciens présidents américains de part et d’autre du président en exercice, est le signe d’un pays où le pouvoir n’est plus un fétiche personnel à garder coûte que coûte par des manipulations de toutes sortes. Elle témoigne d’une stabilité et d’une acceptation générale des modalités d’accès, d’exercice et de transmission d’un pouvoir qui, dans sa conception, ne peut plus être l’alpha et l’oméga de ceux qui l’exercent : on passe le témoin à quelqu’un d’autre au terme de son ou de ses mandat(s). On est en effet président pour un temps dans l’ordre normal des choses.
De telles photos, en dehors du cas Mandela, sont rarissimes en Afrique cinquante après les indépendances. Ici, les anciens présidents sont, soit morts en rêvant au pouvoir éternel, soit en exil, soit derrière les barreaux quand ils ne se regardent pas en chiens de faïence. Joseph Désiré Mobutu a quitté son pays comme un voleur la queue entre les jambes. Ahidjo est mort en exil autant que Bokassa et Idi Amin Dada. Hussein Habré attend son procès au Sénégal, Charles Taylor ronge son frein à la Hayes, Laurent Gbagbo replace son pays au bord du précipice quand plusieurs autres, comme des araignées, se sont agrippés au pouvoir jusqu’à ce que mort s’ensuive. Sombre tableau à compléter par tous ceux qui trouvent dans la modification constitutionnelle permanente, la meilleure stratégie d’être président à vie : longue liste d’insatiables du pouvoir qui s’étoffe d’années en années alors que les populations africaines sont toujours parmi les plus pauvres au monde.
Ceci dit, en dehors d’Abdou Diouf, de Rawlings ou de Kérékou qu’on ne voit par ailleurs jamais avec leurs prédécesseurs, les Africains et l’Afrique doivent, cinquante après un exercice du pouvoir par leurs fils, se poser la question de savoir pourquoi l’ivresse d’un pouvoir personnel et de son caractère meurtrier, s’impose comme la norme dans la gouvernance de leur continent. Pourquoi laisser le pouvoir à un autre devient une souffrance atroce et insupportable pour ceux qui l’exercent ? Pourquoi des Africains dont de nombreux traits culturels militent pour des sociétés conviviales, holistes et solidaires, réussissent l’indigne exploit, une fois qu’ils sont pouvoir, de ne développer que la dimension meurtrière, cupide et désenchantée de son exercice ? Pourquoi le pouvoir ne se met pas au service de la vie ?
Questions difficiles et cruciales par rapport auxquelles on peut poser une hypothèse en guise d’esquisse de réponse. Les dirigeants africains postcoloniaux semblent souffrir d’une schizophrénie multiple. Citons-on en trois formes parmi d’autres.
La première forme est d’avoir revendiqué et obtenu les indépendances pour faire du pouvoir concrètement le contraire de ce qu’implique l’indépendance pour des peuples désormais autonomes. Cinquante ans après, un regard sur la conception et l’exercice du pouvoir en Afrique noire montre que les dirigeants africains ont une aversion morbide des « implications politiques » réelles de l’indépendance des peuples africains. La deuxième forme de schizophrénie est celle qui consiste à condamner, en 1960, les atrocités et les injustices de l’Etat colonial pour, cinquante ans après, passer maîtres dans leur exacte reproduction : c’est le jeu des peaux noires masquent blancs dont parlait Franz Fanon. Une troisième forme de schizophrénie est celle qui montre que les « rois nègres » que l’Afrique a collectionnés depuis 1960, admirent et détestent à la fois le colonisateur occidental. Ce n’est pas pour rien, qu’en se rappelant administrateurs coloniaux, ils n’ont pour toute image du pouvoir politique que réprimer, s’enrichir et le garder définitivement face à un peuple qu’ils « civilisent » comme les colons « civilisèrent » les territoires occupés.
Ce sont ces multiples schizophrénies qui amènent Lansana Conté à laisser un pays en ruine. Ce sont elles qui alimentent l’ivresse du pouvoir de Mamadou Tandja ou d’un Gbagbo qui piétinent les accords signés par lui-même. Ce sont elles qui guident tous les présidents africains qui prolongent éternellement leurs mandats par des manipulations constitutionnelles honteuses.
En contrepartie, l’assimilation des règles démocratique d’acquisition, d’exercice et de transmission du pouvoir ne se fait pas. Dans la tête de tout jeune Africain qui vit dans une telle gouvernance, le pouvoir reste l’instrument de l’enrichissement personnel, de domination et d’acquisition de tous les privilèges au détriment du peuple. Le pouvoir ne devient pas un instrument au service de la vie. Il reste quelque chose qu’il faut conquérir et garder pour soi afin de ne pas le subir d’un autre. Dans pareilles conditions, un Dadis Camara qui arrive au pouvoir oscille dans un entre deux autant que les militaires nigériens du Conseil suprême pour le rétablissement de la démocratie. C'est-à-dire qu’ils souffrent tous d’une quatrième schizophrénie. Celle qui consiste à vouloir à la fois imiter leurs prédécesseurs et être différents d’eux en mettant le pays sur les rails démocratiques.
Résultat des courses, les études scientifiques sur le renouvellement des élites politiques africaines donnent des enseignements hautement interpellant. Les recherches constatent, en effet, un très faible renouvellement des généalogies d’élites politiques africaines depuis 1960. Elles mettent aussi en évidence le fait que le renouvellement des élites politiques est plus élevé après un coup d’Etat militaire qu’après une élection acceptable. Par ailleurs, tous les coups d’Etat n’entraînent pas un renouvellement des élites. Il faut que le nouvel homme fort, à l’instar de Thomas Sankara, le veuille. Il en résulte que, de 1960 à 2010, le coup d’Etat orchestré par un leader africain qui veut le bouleversement de l’ordre établit, reste le meilleur moyen d’entraîner une émancipation et une mobilité sociopolitique en Afrique Noire. Les jeunes Africains ont donc encore du pain sur la planche tellement le chantier reste titanesque. Autant au lendemain des indépendances les jeunes étudiants africains tombaient sous les dictatures de Mobutu et d’Ahidjo, autant en 2010, de jeunes Africains tombent toujours sous les balles réelles des armées nationales en Guinée, en Côte-d’Ivoire, au Cameroun et au Niger. L’ivresse du pouvoir des Mobutu, Ahidjo et Bokassa a succédé à celle des Paul Biya, Gbagbo, Sassou Nguesso, Idris Déby , Mugabe etc…
La Fondation Moumié pense que les combats d’émancipation sont donc plus que jamais d’actualité sur deux fronts. Les grands Africains comme Patrice Lumumba, Félix Roland Moumié, Um Nyobè et bien d’autres se sont battus contre le premier ennemi de l’Afrique. C’est à dire l’avidité capitaliste des grandes puissances internationales. Ce combat est à continuer lorsqu’on se rend compte que la France condamne le coup d’Etat au Niger parce que, dépendant à 80 % de l’énergie nucléaire, elle pense d’abord aux juteux contrats signés avec Mamadou Tandja dont le pays est le 3ème producteur mondial d’uranium. L’autre front du combat, cinquante ans après, est interne au continent. C’est le combat à mener contre des Africains qui ont transformé le pouvoir politique en instrument de négation de l’indépendance des populations africaines.
Pour l’instant, l’Afrique est dans une situation où la crédibilité des armes remplace, avec raison, celle d’hommes corrompus par l’ivresse du pouvoir et passés maîtres dans le coup d’Etat constitutionnel.
© Thierry AMOUGOU, président de la Fondation Moumié, In la Lettre de la Fondation Moumié n°2
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