La destruction programmée de la vie d’un artiste engagé
Quand la liberté d'expression est en danger, la musique est l'un des premiers bastions auxquels s'attaquent les régimes autoritaires. Les chansons sont, alors, le plus souvent, interdites et les artistes emprisonnés pour des motifs saugrenus.
Il s'appelle Lapiro de Mbanga, célèbre musicien militant camerounais, il croupit derrière des barreaux depuis septembre 2008, pour n'avoir pas gardé sa langue dans sa poche.
Même si officiellement elles n'ont aucun rapport avec son procès, ce sont ces quelques paroles qui ont fait hurler le président camerounais PaulBiya et sont à l'origine de l'enfermement du chanteur :
« Dix années sont passées, le peuple attend toujours d'avoir une structure indépendante pour gérer les élections libres et transparentes afin que la grande majorité des citoyens aient le droit de voter.
Ça, les marathoniens de la mangeoire n'y trouvent aucun intérêt, sauf celui d'éliminer la limitation du mandat présidentiel de la Constitution. »
Chanter la « Constitution constipée », c'est risqué
Au Cameroun, lorsque le président change la constitution pour se faire réélire ad vitam aeternam, mieux vaut ne pas trop en parler. Alors imaginez le sacrilège lorsque qu'un musicien se saisit de cette information pour en faire une chanson moqueuse et dénonciatrice, une chanson répondant au doux nom de « Constitution constipée ».
Célébrité musicale et ancien candidat aux élections de sa localité, Lapiro de Mbanga a été montré du doigt pour avoir participé à l'organisation d'émeutes, que les autorités ont, bien sûr, matées dans le sang. Il a écopé de trois ans de prison ferme et d'une amende de 200 millions de francs CFA (plus de 300 000 euros).
Face à cette injustice, un mouvement spontané regroupant de nombreux acteurs du monde de la musique a vu le jour. Des musiciens de toutes origines se sont réunis pour donner naissance à une compilation. Elle sera offerte à tous les internautes qui signeront la pétition en ligne pour la libération du chanteur.
Ce disque, disponible depuis le 1er janvier 2010, ne contiendra quasiment que des titres inédits d'artistes tels que le slameur Apkass, Jr Eakee, la star ivoirienne Meiway, Lokua Kanza, Nibs Van Der Spuy.
Le signal envoyé par Paul Biya aux Camerounais est assez clair. Pour autant, en enfermant Lapiro, il a surtout fait de lui le porte-drapeau du combat contre la censure d'où qu'elle soit et quelle que soit sa forme.
La censure est partout et ne passe pas seulement par la case prison
Tiken Jah Fakoly, reggae man bien connu sous nos latitudes, a été obligé de fuir son pays, la Côte d'Ivoire, menacé de mort à cause de ses chansons.
Siwan Perwer, légende de la musique kurde, a lui dû quitter la Turquie pour pouvoir chanter dans sa langue et défendre l'existence d'un Kurdistan libre sans risquer de finir en cellule.
La musique est aussi la première expression bannie par les extrémismes religieux en tout genre. Les cas afghans ou somaliens sont aujourd'hui tristement célèbres. L'Iran quant à lui donne un exemple plus sournois.
La Chine suit exactement le même chemin, folklore religieux en moins. Son ministre de la Culture a annoncé que toutes les musiques téléchargeables sur Internet devront avoir des paroles « acceptables » et approuvées par le ministère avant d'être mises en ligne.
La lutte contre la censure s'organise
Les groupes luttant contre cet état de fait ne sont pas nombreux. Parmi eux, Freemuse, organisation née en 1999 à la suite de la première conférence mondiale sur la musique et la censure, travaille d'arrache-pied pour recenser et médiatiser toutes les atteintes aux libertés des musiciens dans le monde.
Elle est, bien sûr, un soutien et un partenaire de l'action pour la libération de Lapiro, et prépare pour l'année prochaine une compilation d'artistes bannis, exilés, enfermés
© Rue89.fr : Arnaud Cabanne
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