La liberté, rien que la liberté

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vendredi 5 mars 2010

Cameroun : Le régime dictatorial tue Paul Eric Kingue pour rien



Paul Eric Kingue ne serait pas l'instigateur des émeutes de février 2008 à Nkongsamba



D'après différentes correspondances parvenues dans les services du Premier ministre, Paul Eric Kingue ne serait pas l'instigateur comme l'indique l'accusation, des émeutes de février 2008 à Nkongsamba. En tout cas, l'un de ses contradicteurs dans le procès qui l'oppose à l'Etat du Cameroun, vient de le faire savoir dans une correspondance riche en révélations, adressée au Premier ministre. Le nommé Guy Ambomo (incarcéré à la prison de Nkongsamba à Douala), souligne avec force détails qu'il a été contraint à compromettre l'ancien maire de Njombé-Penja. Une manipulation politicienne, selon des échanges épistolaires entre différentes administrations, mise en branle longtemps avant les tristes événements de février 2008.

Le quotidien Mutations est récemment rentré en possession de la correspondance de Guy Ambomo. Un texte daté du 4 juin 2008 et jusqu'ici tenu secret. Adressé au Premier ministre Ephraim Inoni, il donne dans les détails la stratégie de mise à mort de Paul Eric Kingue. Moins détaillé cependant que cette autre lettre adressé au Vice-premier ministre en charge de la Justice garde des Sceaux, avec ampliation au Premier ministre et au chef de l'Etat, la missive fait des révélations troublantes. Guy Ambomo indique y avoir subi des "pressions, contraintes mentales et suggestions fallacieuses [des] magistrats aux fins de faire mentir contre un innocent".

Il précise qu'il ne connaît pas Paul Eric Kinguè "dans la vie libre", avant de passer aux aveux complets: "Je reconnais avoir mené une bonne partie des dégâts perpétrés à la Php et ailleurs. Curieusement, sous la pression de ces gens en tenue, après des menaces, ils m'ont proposé beaucoup d'argent pour que j'incrimine le maire de ma localité. Pour sortir de leurs griffes, je n'ai pas manqué de le faire." Depuis sa cellule de la prison de Nkongsamba, Guy Ambomo explique pourquoi, il a décidé de se rétracter dans le bureau du juge d'instruction, car pour lui, l'ancien maire n'y est pour rien. Cet autre détenu accuse même le lieutenant-colonel Moïse Nguete de lui avoir subtilisé 1,2 million de Fcfa.

Et Guy Ambomo d'ajouter qu'il "y a des personnes qui ont financièrement soutenu les émeutes, et j'ai donné leurs noms au juge d'instruction, mais jusqu'à présent, elles ne sont pas arrêtées. Lui-même m'a dit sa déception parce qu'il aurait appris, me disait-il dans son cabinet, qu'il pensait que je venais clouer le maire de Penja", a écrit le détenu au Vice-premier ministre. Finalement condamné à 15 ans de prison ferme pour des faits de pillage en bande, Guy Ambomo a reconnu être auteur des délits attribués à l'ancien maire. "Si nous avons décidé d'aller détruire à la société Php, c'est parce que nous avons trop travaillé pendant la compagne électorale pour le député Ndonno Mbanga, qui jusqu'à ce jour, ne nous a pas payés. Il nous doit encore sept millions de Fcfa."

Hymne national
Ledit député est directeur des relations publiques de la Php. D'où le choix par Guy Ambomo et de ses complices de s'attaquer au patrimoine de l'entreprise. Toujours est-il que les faits exposés par Guy Ambomo semblent soutenus par sa convocation chez le gouverneur du Littoral, le 12 février 2008. Il avait en effet, été rapporté au gouverneur du Littoral que le maire était resté assis pendant l'exécution de l'hymne national, lors du défilé du 11 février. Pour sa défense, Paul Eric Kingue avait présenté un support audiovisuel qui le présentait débout à cette occasion. "C'est ce qui a fait ajourner mon arrestation, qui avait déjà été instruite pour le 12 février 2008. Le colonel Alkassoum, venu de la légion du Littoral, fut impressionné par nos interventions (le sous-préfet et moi), m'avoue qu'il est à Penja depuis le 22 février 2008 (avant la grève) pour mon arrestation.", Paul Eric Kingué sera finalement interpellé le 27 février.

A titre de rappel, le lundi 19 janvier 2009, Paul Eric Kingué, ancien maire de la commune de Njombé-Penja, est condamné à six ans d'emprisonnement ferme par le tribunal de grande instance du Moungo Nkongsamba, et à 804 millions de francs de dommages à payer aux Plantations de haut Penja (Php) et autres.Le tribunal lui reprochait les faits de pillage en bande, vol aggravé et destruction en coaction, activité dangereuse pendant les émeutes de la faim qui ont secoué le Cameroun en février 2008. "Le 25 février dernier, lorsque se déclenchent les mouvements de grève avec des pillages que personne n'a cautionné, ils ont tôt fait de me faire porter la responsabilité de la grève de Penja alors que, n'eut été mon implication personnelle, Njombé-Penja aurait connu un sort assez lourd", écrivait Paul Eric Kingué dans sa correspondance.

Et de poursuivre: "Le colonel Kalsoumou et les éléments du Gmi de Douala, présents sur le terrain, m'ont félicité pour le courage et le rôle que j'ai joué pour maîtriser la colère des jeunes en fureur. Je me vantais d'ailleurs d'avoir ramené le calme dans ma localité, le 27 février, alors que les autres villes étaient encore au plus fort de la crise. Mais curieusement, après le séjour des expatriés de la bananeraie à Yaoundé, je me suis surpris en train d'être appréhendé comme un chef de gang, devant mes populations, par des militaires et gendarmes transportés dans 6 camions (armée de terre) et 12 pick-up (de la gendarmerie)." Paul Eric Kingué maintient cette ligne de défense, deux ans après son incarcération.

Délibérations
L'argument économique semble au départ de son arrestation longtemps, visiblement programmée à l'avance: "En poussant plus loin ma curiosité, je constate, non sans réunir mes collaborateurs, que les plantations Php, Société des Bananeraies de la Mbomé (Spm) et la Société des Plantations Nouvelles de Penja (Spnp) ne paient ni patente, ni enregistrements sur leurs différents baux, bref, aucune taxe communale." M. Kinguè affirme avoir découvert, au terme d'une expertise fiscale, que la commune se voyait délester 2,755 millions Fcfa par an d'impôts communaux sur les salaires, l'enregistrement, la patente, les taxes sur la dégradation de la chaussée, les taxes agricoles et différentes délibérations… des pots-de-vin lui sont proposés pour calmer ses revendications. "François Armel (Dg Php) et Brethes (Dg Spm) me proposent 20 millions Fcfa par trimestre, au cas où j'abandonnais ma pression pour le payement, par eux, des impôts locaux", révèle-t-il.

Mais le maire d'hier, aujourd'hui prisonnier, dit avoir saisi le Premier ministre d'alors, Ephraïm Enoni, qui a instruit le directeur général des impôts, Laurent Nkodo, de reverser ces entreprises enregistrées comme sociétés coopératives agricoles au régime de droit commun, en procédant à l'annulation des différentes exonérations dont elles se targuaient et qui, en réalité, étaient illégales au regard du Code général des impôts du Cameroun. L'autre épée de Damoclès qui pend sur la tête de l'ex-maire est la gestion de la commune. Selon ses révélations, le préfet du Moungo et le sous-préfet Njombé-Penja percevaient chacun 250.000 Fcfa chaque mois. La secrétaire du sous-préfet et son chauffeur émargeaient également tous les mois dans le budget de la commune.

"J'ai décidé, en ma qualité de juge d'opportunité et de gestionnaire de cette collectivité, d'arrêter cette saignée financière qui ne s'expliquait pas", confie Paul Eric Kingué. D'ailleurs, "il était désormais évident qu'après avoir mis fin à la spoliation par le préfet et le sous-préfet des fonds de la commune de Penja, après avoir traqué les entreprises esclavagistes associées à ces deux personnes et c'est sans doute pourquoi, je croupis injustement aujourd'hui, au fond d'une cellule à la prison de Douala", analyse-t-il, juste avant son transfert à la prison de Nkongsamba. Cette version est une mise au point qu'apporte Paul Eric Kinguè qui se présente comme un détenu politique dont la présence à la tête de la commune de Njombé-Penja "menaçait également les intérêts financiers d'un préfet et d'un sous-préfet corrompus, qui ont fait main basse sur les ressources d'une commune qui n'arrivait pas à retrouver ses repères et dont [il était] décidé de renflouer les caisses, pour le bien des populations qui [lui] ont accordé leurs suffrages pendant les élections".
© Mutations : J B A

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