Ndeh Ntumazah :«Je pense en tout cas que Biya a échoué»
Wilson Ndeh Ntumazah, compagnon de routes des leaders historiques de l’Union des populations du Cameroun (Upc) et militant de la première heure du mouvement nationaliste, est décédé à Londre le 21 janvier dernier à l’âge de 83 ans, des suites d’une longue maladie contre laquelle il se bat énergiquement depuis une dizaine d’années.
En 1991, alors que le Cameroun était profondément secoué par les mouvements de contestations politiques, La Nouvelle Expression l’a rencontré dans son exil londonien. L’entretien que notre reporter a eu avec lui demeure d’une brûlante actualité : le sens de la lutte de l’Union des populations du Cameroun, La détermination et l’héroïsme de ses chefs qui ont tout donné, jusqu’au sacrifice suprême, pour obtenir la vraie indépendance et la réunification du Cameroun. Ceux qui combattaient les nationalistes ont hérité de l’autre indépendance, le néo-colonialisme qui maintient encore le peuple camerounais sous son joug…
Qu’est-ce qui explique, selon vous, que les gouvernements camerounais soient issus d’un cercle proche d’Aujoulat ?
Aujoulat est un « pied noir » algérien venu au Kamerun comme médecin. C’est lui qui a crée l’organisation médicale Ad-Lucem qui s’est préoccupée de l’implantation des cliniques dans tout le pays. Il était très lié à la mission catholique à l’époque. Pour étudier plus tard à Paris, beaucoup de camerounais passaient par les missionnaires. C’est le cas de Paul Biya par exemple. M. Aujoulat a crée le Bloc démocratique camerounais dans lequel André Marie Mbida a milité. Ce parti était en fait une école ou l’on formait les gens pour les dresser contre l’Upc et préserver les intérêts français. Voilà pourquoi tous les présidents de la République et Premiers ministres sortent de ce fief d’Aujoulat : Simon Pierre Tchoungui, Assale Charles, Ahmadou Ahidjo, Paul Biya, Bello Bouba Maïgari et sans oublier André Marie Mbida viennent tous du même cercle français. Biya a toujours milité avec Aujoulat à travers lequel il a rencontré sa femme.
Quelles sont les vraies raisons de l’échec du Premier ministre André Marie Mbida en 1958 ?
En 1958, Mbida en sa qualité de membre du Bloc démocratique camerounais a décidé de se présenter aux élections contre Aujoulat. Il savait pourtant que seul contre Aujoulat, il n’avait pas de chance de gagner. Il avait sollicité le soutien de l’Upc. Mbida a pu battre Aujoulat en 1956 grâce au soutien de l’Upc. Devenu Premier ministre, Mbida a maintenu les relations avec la France. Mais les Français se sont rendus compte qu’il existait également des relations entre André Marie Mbida et l’Upc. C’est ce constat qui a amené la France à installer, par le biais de M. Ramadier, M. Ahidjo au pouvoir.
Comment avez-vous vécu la période de référendum sur la Réunification ?
Il y a une chose que je dois mentionner : quand l’Upc a été dissoute en 1955, Moumié et Ouandié sont arrivés, Kingue se trouvait dans la Sanaga Maritime avec Um Nyobe. Nous avons constaté qu’avec la dissolution de l’Upc, on risque de ne pas avoir l’Unification. Il fallait maintenant mettre sur pied une organisation qui devait continuer la campagne pour l’unification. A Bamenda en 1955, nous avons crée un comité de réunification. Félix Rolland Moumié en était le président. Ngu Foncha était le secrétaire dudit comité. Les Anglais ont constaté que ce comité allait être d’un poids trop lourd pour eux. Tout nous séparait de M. Foncha car il était proche du pouvoir. Mais au moins, il était pour l’idée de la réunification. Il y avait une différence dans la manière de gouverner des Français et des Anglais. Tandis que les Français tenaient à la politique d’assimilation, les Anglais estimaient quant à eux qu’il fallait amener les populations à s’occuper d’elles-mêmes. L’Upc dans le Kamerun occidental rencontrait ainsi moins de difficultés que dans le Kamerun oriental. Les Anglais qui assuraient la tutelle dans le Kamerun occidental craignaient que les Français parviennent à éliminer les dirigeants de l’Upc installés au Kamerun occidental. C’est pour cette raison que les Anglais jugèrent utile de faire partir Moumié, Kingue et les autres au Soudan. C’est à cause de cela que les Français ont toujours suspecté l’Upc d’avoir des liens étroits avec la Grande Bretagne. Ce qui est faux. La Grande Bretagne ne faisait qu’appliquer son système colonial.
Certains ont pu dire que les cadres de l’Upc à Accra servaient de conseillers au président Kwamé Nkrumah ?
Nkrumah avait des liens avec nous. J’étais à Accra (Ghana) en 1957 pendant la période de l’indépendance. Moumié y était en 1958 pour organiser la conférence des peuples africains. Nos liens avec Kwamé Nkrumah datent de longtemps. Les soi-disants cadres qui sont venus à Accra et qui disent avoir été les conseillers de Nkrumah sont arrivés à Accra en 1961 entre les mois de novembre et décembre ; plus précisément après la mort de Moumié. Il y avait un secrétariat de l’Upc à Accra, deux seulement y vivaient. Il s’agit de Michel Ndoh et Woungly Massaga. Tchaptchet était à Conakry, Maïkano était au Maroc, Ossendé Afana était à Conakry, Dr Ndongo Die était en Tunisie, on avait un représentant en Algérie. A un moment donné Hogbé Nlend était aussi en Algérie. L’Upc était mieux placée pour connaître les problèmes qui se passaient à la fois en Afrique francophone et en Afrique anglophone. Quand Lumumba avait prie le pouvoir au Congo-Léopoville (actuel Zaïre), Moumié y a été avec Fanon pour aider Lumumba. Pour nous, la lutte pour la libération de l’Afrique nous concerne. L’Upc occupait une place de choix dans les campagnes de libération en Afrique. Nous travaillions la main dans la main avec ceux qui voulaient libérer l’Afrique du joug colonial. Ce n’est pas étonnant qu’on dise que l’Upc avait des cadres conseillers de Nkrumah, de Lumumba ou de Nasser. Nous avions en commun une politique anti-impérialiste.
Pourquoi l’Algérie a-t-elle été un pays très ouvert aux opposants camerounais ?
Dans le monde, vous savez, les gens doivent partager les mêmes idées pour être amis. Les Algériens ont commencé à lutter pour leur indépendance en fin novembre 1954. Les cadres militaires camerounais étaient formés dans le même camp que les cadres militaires algériens. Certains camerounais ont même combattu en Algérie avec les Algériens. Il y avait des compatriotes comme Sundji qui vivait en Algérie et percevait son argent d’ancien combattant. En ce moment, cet ancien combattant devenu aliéné réside au Cameroun. Nos combats pour l’indépendance nous ont unis. Je suis allé en Algérie parce que je connaissais Boumedienne. C’est lui qui s’occupait des camps d’internement au Maroc. Or dans ce camp, il y avait des Kamerunais. Quand j’étais au Kamerun, j’allais de temps en temps au Maroc. Je rencontrais entre autres le président Boumedienne. C’était donc facile pour moi de partir du Maroc pour l’Algérie au moment où Boumedienne était au pouvoir. Nous n’étions pas seulement ami avec Boumedienne. Notre amitié avec Ben Bella était bien grande.
Depuis votre départ du Cameroun, n’avez-vous pas subi quelque pression pour collaborer avec le gouvernement légal de Yaoundé ?
Ahidjo avait envoyé Fochivé me voir pour me convaincre de retourner au Kamerun. Fochivé était allé voir Nkrumah à Accra au Ghana pour qu’il organise une rencontre entre Fochivé et moi. Quand j’ai rencontré Fochivé, il m’a dit que Ahidjo souhaitait sincèrement mon retour au Kamerun. Il m’a fait savoir que Ahidjo admirait beaucoup ma contribution dans l’œuvre de réunification du Kamerun. J’ai dit à Fochivé de transmettre à Ahidjo que je ne rentrerais au Kamerun qu’après certains préalables. D’abord, il fallait qu’une loi d’amnistie générale et inconditionnelle soit adoptée. Ensuite, je lui soulignais la nécessité d’une table-ronde de réconciliation nationale afin que l’Upc puisse revenir à la vie politique. Je lui ai dit que Moumié était sur place au Kamerun et que le gouvernement d’Ahidjo pouvait essayer d’entrer en contact avec lui pour fixer les modalités pratiques de cette table-ronde nationale et les conditions du retour des Upécistes en exil. Lorsque M. Biya a pris le pouvoir, il a lui aussi envoyé des émissaires vers moi; des émissaires qui sont venus me demander de rentrer au pays.
Que pensez-vous du régime politique du président Biya depuis sont accession à la magistrature suprême ?
Quand Biya a pris le pouvoir, j’ai fait une déclaration dans un communiqué de presse où je disais que « quand on change celui qui monte sur le cheval, l’essentiel est que le cheval reste ». Comme quoi, il n’y a pas eu changement. Je l’ai dit quand Biya a pris le pouvoir. Je n’ai jamais considéré l’arrivée de Biya au pouvoir comme un changement. Il y a eu juste une continuation des régimes inféodés au néocolonialisme. Quand Biya a prêté serment pour la première fois, il a dit qu’il allait continuer la politique d’Ahidjo. Pour moi, le régime actuel est le même que la France avait mis sur pied en 1958.
Vous affirmiez dans un article que Ahidjo avait été victime d’un coup d’Etat médical. Est-ce que vous réitérez aujourd’hui cette affirmation ?
Voici en fait ce qui s’est passé. C’est de retour d’un voyage en France que Ahidjo a informé ses collaborateurs qu’il était malade. Il ne voulait pas que sa mort créé une situation d’impasse politique. Il s’est rendu compte par la suite qu’il n’était en fait pas malade comme ses médecins le prétendaient. Il a alors essayé de reprendre le pouvoir.
Pensez-vous vraiment que la France est à l’origine du départ d’Ahidjo ?
Quand les socialistes sont arrivés au pouvoir, ils se sont rendus compte que s’il n’y avait pas un changement au Kamerun, les troubles allaient s’en suivre. C’est alors qu’ils ont monté une autre personne susceptible, selon eux, de faire des réformes dans le pays. Le départ de Ahidjo a été organisé par le gouvernement socialiste. Les Français ont cru que Biya allait apporter un changement. Je ne sais pas si les Français constatent que rien n’a changé au Kamerun. Moi je pense en tout cas que Biya a échoué. La politique ne peut pas être considérée comme une politique de changement.
Depuis l’avènement du Renouveau au pouvoir, quels sont les événements qui vous ont le plus marqué ?
Il y a eu le coup d’Etat d’avril 1984. Ce putsch qui a mis aux prises la garde présidentielle et l’armée n’avait rien à voir avec le peuple. Mais, la façon dont Biya a fait tuer les Camerounais surtout originaires du Nord, m’a beaucoup touché. L’Upc n’a jamais créé les conditions susceptibles de transformer le Kamerun en une mer de sang. L’Upc a toujours créé les conditions de la paix au Kamerun. Le but fixé par L’Upc est le bien-être de tous les camerounais. Nous pensons dans l’Upc que si les ressources du Kamerun étaient bien exploitées et bien gérées, les Kamerunais ne connaîtraient pas ce qu’ils vivent en ce moment. Un autre événement qui m’a marqué, c’est la soif de démocratie qui habite les Kamerunais. C’est inutile de tuer les Kamerunais comme cela se fait dans le pays en ce moment. Il est du droit de chaque citoyen d’avoir son mot à dire dans les questions nationales. Biya n’a jamais été mandaté par le peuple. C’est Ahidjo qui l’a mandaté comme un mercenaire d’un pays étranger (la France). Le peuple Kamerunais demande aujourd’hui la possibilité de mandater leur leader comme cela se fait dans les pays démocratiques telles que l’Allemagne, la Grande-Bretagne et autres.
Il y a autre chose encore qui m’a marqué dans le régime actuel au Kamerun. Je veux parler du conflit que Biya a cherché à créer entre les Béti et les autres ethnies du pays. Moi, j’ai vécu dans le pays des Béti. Mon frère aîné qui y a vécu également a une femme Boulou. Il s’est également marié avec deux filles Foulbé avec lesquelles il a eu plusieurs enfants. Ce qui fait que j’ai des neveux Boulou, Foulbé et Ntoumou. Nous avons une plantation à Ambam. Je suis très lié aux Béti. Je peux vous dire que les Béti souffrent. Biya veut qu’il y ait la guerre civile dans ce pays. Ça l’arrange ; lui et sa clique de profiteurs. J’aimerais faire également cette précision : Paul Biya est président d’un parti politique. Et à ce titre, il n’a pas le droit de donner l’autorisation aux autres partis politiques pour qu’ils puissent exister. On ne peut être à la fois joueur et arbitre. Si Biya veut être arbitre, alors il ne doit plus être leader de parti. Un leader de parti politique n’a ni le droit de vie, ni le droit de mort sur les autres partis. J’ai appris avec beaucoup de déception la dissolution de six associations parmi lesquelles des associations de défense des droits de l’Homme. Les Kamerunais ont déjà trop souffert comme ça. Il faut que les choses changent. On parle toujours du Nord comme s’il s’agissait d’une zone toute acquise à Ahidjo. Le lamido de Maroua a été tué par les hommes d’Ahidjo tout simplement parce qu’il avait refusé de se soumettre à son autorité. J’ai été vraiment touché de savoir que de nombreux citoyens surtout du Nord sont morts à cause du putsch du 6 avril 1984.
Que proposez-vous pour l’avenir de la démocratie au Cameroun au-delà des querelles politiques ?
L’économie du Kamerun est en faillite parce que le pays est dirigé par les gens qui ne savent pas ce que c’est que l’économie. Quand l’importation dépasse l’exportation, on sait déjà qu’il y a la crise. Les Kamerunais importent des choses qu’ils savent être incapables de payer. Et encore, quand ils organisent les surfacturations, qu’est-ce que cela veut dire ? C’est que si une société ou une personne veut construire une route pour 10 millions de F Cfa au Kamerun, le gouvernement va s’arranger pour que cette route coûte 30 millions de F Cfa. Or, 20 millions seraient mis dans leur compte. Qui va payer ? Ce sont les Kamerunais. Quand on vous dit que ces ont les Kamerunais qui doivent rembourser, il s’agit de rembourser des fonds qui se trouvent ailleurs, qui permettent de créer des emplois à des non-kamerunais. Quand on parle de l’opposition, il ne s’agit pas d’un nom de baptême. L’opposition doit être apte à organiser la vie économique du pays si elle arrive au pouvoir. Ceci de manière à ce que si la caisse est vide, le peuple doit être en mesure de le se savoir. Nous vivons dans un pays qui a ce qu’on appelle de compte hors-budget. Seul le président de la République sait quel est le montant du compte hors-budget. On vient de relever que le Kamerun à 30 millions de dollars à la B.C.C.I. Voilà de l’argent parti comme çà… Peut-être y a-t-il encore de l’argent dans d’autres banques. On ne sait pas combien de dirigeants Kamerunais ont gardé de l’argent dans cette banque. On jette l’argent par la fenêtre et les Kamerunais souffrent. Souvent lorsqu’on prête de l’argent aux Kamerunais, il s’agit de l’argent qui leur appartient. C’est très grave de laisser l’économie du Kamerun entre les mains des pilleurs. Le compte hors budget existe toujours. Le peuple ne sait pas quel est le montant qui s’y trouve. Cette situation n’a que trop duré. Il faut que ça cesse. Pour avoir une économie saine, il faut un gouvernement sain. Au moment de choisir les futurs dirigeants de leur pays, il faut que les Kamerunais regardent bien « la main » de ceux à qui ils doivent accorder leur confiance. Parce que s’ils mettent encore dans les mains des voleurs -même si ces voleurs disent qu’ils n’ont pas volé autant que Biya-, la situation ne peut que s’aggraver. Le peuple doit savoir que le régime des mercenaires crée et imposé chez nous par la France reste tant que les mercenaires resteront au pouvoir.
© La Nouvelle Expression
L’économie du Kamerun est en faillite parce que le pays est dirigé par les gens qui ne savent pas ce que c’est que l’économie. Quand l’importation dépasse l’exportation, on sait déjà qu’il y a la crise. Les Kamerunais importent des choses qu’ils savent être incapables de payer. Et encore, quand ils organisent les surfacturations, qu’est-ce que cela veut dire ? C’est que si une société ou une personne veut construire une route pour 10 millions de F Cfa au Kamerun, le gouvernement va s’arranger pour que cette route coûte 30 millions de F Cfa. Or, 20 millions seraient mis dans leur compte. Qui va payer ? Ce sont les Kamerunais. Quand on vous dit que ces ont les Kamerunais qui doivent rembourser, il s’agit de rembourser des fonds qui se trouvent ailleurs, qui permettent de créer des emplois à des non-kamerunais. Quand on parle de l’opposition, il ne s’agit pas d’un nom de baptême. L’opposition doit être apte à organiser la vie économique du pays si elle arrive au pouvoir. Ceci de manière à ce que si la caisse est vide, le peuple doit être en mesure de le se savoir. Nous vivons dans un pays qui a ce qu’on appelle de compte hors-budget. Seul le président de la République sait quel est le montant du compte hors-budget. On vient de relever que le Kamerun à 30 millions de dollars à la B.C.C.I. Voilà de l’argent parti comme çà… Peut-être y a-t-il encore de l’argent dans d’autres banques. On ne sait pas combien de dirigeants Kamerunais ont gardé de l’argent dans cette banque. On jette l’argent par la fenêtre et les Kamerunais souffrent. Souvent lorsqu’on prête de l’argent aux Kamerunais, il s’agit de l’argent qui leur appartient. C’est très grave de laisser l’économie du Kamerun entre les mains des pilleurs. Le compte hors budget existe toujours. Le peuple ne sait pas quel est le montant qui s’y trouve. Cette situation n’a que trop duré. Il faut que ça cesse. Pour avoir une économie saine, il faut un gouvernement sain. Au moment de choisir les futurs dirigeants de leur pays, il faut que les Kamerunais regardent bien « la main » de ceux à qui ils doivent accorder leur confiance. Parce que s’ils mettent encore dans les mains des voleurs -même si ces voleurs disent qu’ils n’ont pas volé autant que Biya-, la situation ne peut que s’aggraver. Le peuple doit savoir que le régime des mercenaires crée et imposé chez nous par la France reste tant que les mercenaires resteront au pouvoir.
© La Nouvelle Expression
Voici au moins un qui a résisté à la pression politique, aux provocations et sollicitations. Que son âme se repose en paix.
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